Alors que les investissements dans le cloud explosent à travers le continent, l’Afrique peine à former suffisamment de spécialistes pour accompagner cette croissance. Un déséquilibre de plus en plus critique menace de ralentir les ambitions numériques de plusieurs pays.
Selon les prévisions de Statista, le marché africain du cloud public devrait atteindre 12,56 milliards de dollars en 2025, pour franchir la barre des 25 milliards d’ici 2029. Derrière ces chiffres prometteurs se cache une réalité moins reluisante : le manque criant de profils qualifiés capables d’implémenter, gérer et sécuriser ces infrastructures numériques. Une situation qui fragilise autant les entreprises locales que les ambitions de souveraineté technologique.
Du Nigeria à l’Afrique du Sud, les acteurs publics et privés multiplient les initiatives pour moderniser leurs services via le cloud computing. Microsoft, Amazon Web Services et Google Cloud investissent massivement, en déployant des centres de données ou des hubs technologiques à Nairobi, Johannesburg ou encore Lagos. Cette dynamique engendre une forte demande de profils spécialisés : ingénieurs DevOps, architectes cloud, experts en cybersécurité. La Société financière internationale (SFI) estime que 230 millions de talents numériques seront nécessaires sur le continent d’ici 2030. Mais les structures de formation actuelles sont loin d’être prêtes à répondre à ce défi.
La formation dans les métiers du cloud reste embryonnaire dans la plupart des pays africains. Quelques initiatives privées, comme les bootcamps d’ALX Africa ou les programmes de Gebeya en Éthiopie, tentent de combler les lacunes. Mais dans les universités, les programmes restent trop généralistes et souvent déconnectés des exigences concrètes du marché. Le manque d’équipements, d’accès aux plateformes cloud, ou de modules pratiques empêche un apprentissage efficace. En 2023, un rapport conjoint de l’AUDA-NEPAD et de la GIZ signalait que moins de 30 % des diplômés en TIC étaient directement employables.
Cette pénurie ne se limite pas à un problème de formation. Elle freine plus largement l’industrialisation numérique du continent. Faute de compétences locales, les entreprises sont contraintes de recruter à l’étranger ou d’externaliser leurs services, ce qui augmente les coûts et freine leur compétitivité. Les start-ups, en particulier, peinent à attirer les talents nécessaires pour se développer. À Lagos, Nairobi ou Kigali, les recruteurs peinent à trouver des profils adaptés. Une étude de Jobberman montre que 70 % des employeurs nigérians jugent les candidats au cloud computing insuffisamment formés.
Face à l’urgence, certains États africains amorcent des politiques plus structurées. Le Nigeria a lancé sa stratégie nationale pour l’économie numérique, avec un accent sur la formation aux métiers du numérique. D’autres pays, comme le Ghana, le Rwanda ou la Côte d’Ivoire, développent des académies spécialisées, souvent en partenariat avec le secteur privé. L’objectif : bâtir un écosystème de compétences capable de répondre à la demande croissante du marché.
Pour inverser la tendance, plusieurs leviers sont identifiés : intégration de certifications cloud reconnues dans les cursus universitaires, mise en place de formations hybrides associant mentorat, stages et cours en ligne, ou encore coordination régionale via des structures comme Smart Africa. Le déploiement de la ZLECAf pourrait également faciliter la mobilité des talents à l’échelle du continent. Mais sans un effort massif et cohérent d’investissement dans le capital humain, l’Afrique risque de rester consommatrice de solutions cloud, sans jamais devenir réellement actrice de leur développement.