Suy Kahofi, Julie Charpentrat, AFP
Le jus de la fleur d’hibiscus sabdariffa, plus connu en Afrique sous le nom de bissap, serait un remède efficace pour augmenter la fertilité chez la femme. C’est ce que suggère une publication virale sur Facebook. Le bissap est une boisson très répandue dans plusieurs pays d’Afrique, appréciée notamment pour son goût sucré. Mais les spécialistes de la santé contactés par l’AFP ne lui reconnaissent aucun principe actif agissant sur la fertilité.
La publication mise en ligne le 20 février par un groupe Facebook appelé “Tomber enceinte dans 1mois” a enregistré plus de 1.200 partages. Le texte est accompagné de trois images, montrant des feuilles et du jus de bissap ainsi qu’un dessin simplifié de l’appareil génital féminin. “Femme, tu as des soucis de fertilité et de petites complications hormonales…”, interpelle dans un premier temps l’internaute avant de proposer un remède.
“Prend les feuilles de BISSAP, prépare les, puis filtre pour avoir un liquide buvable. (…) Si vous faites 5 jours de règle, buvez pendant ces 5 jours matin et soir”, préconise cette publication. Les feuilles de bissap “nettoient complètement votre vagin et votre utérus. Tout ce qui vous rend infertile, ces feuilles nettoient à fond et activent les bonnes hormones”, est-il affirmé.
Capture d’écran réalisée sur Facebook le 29 avril 2022
Les internautes qui commentent la publication reprise par plusieurs autres comptes (1, 2, 3) semblent intéressés par les miracles que peuvent produire les fleurs d’hibiscus sabdariffa séchées.
Capture d’écran réalisée sur Facebook le 29 avril 2022
L’hibiscus sabdariffa, de la famille des malvacées pour sa classification botanique, est le nom scientifique du bissap. Bissap est l’appellation populaire de cette plante au Sénégal et en Côte d’Ivoire. Elle porte plusieurs autres noms dont l’oseille de Guinée, l’hibiscus rouge ou le thé rose. On retrouve aussi l’hibiscus sabdariffa sous les noms communs de dabléni au Mali, de karkadé ou thé de l’Empire en Egypte, de groseille en Martinique ou à la Guadeloupe. Le bissap est généralement consommé sous forme de jus, d’infusions ou de tisanes.
Pour autant, l’engouement des internautes pour cette publication sur Facebook ne lui garantit en rien un fondement scientifique.
“Aucune action hormonale”
Sur plusieurs sites internet dédiés au bien-être et à la diététique, le bissap est présenté comme un ingrédient pour des produits cosmétiques, un antioxydant ou encore un complément en boisson qui facilite la digestion. “Le bissap a des vertus digestives, il est aussi riche en vitamine C et aurait des vertus diurétiques“, indique Abdoulaye Diop, gynécologue-obstétricien et secrétaire général de l’Association sénégalaise de gynécologie-obstétrique.
Par contre, le bissap “n’a aucune action hormonale ou action sur la fertilité connue médicalement à ce jour : le bissap ne nettoie aucunement ni l’utérus ni le vagin“, explique ce médecin.
Cette recette de grand-mère à base de bissap pour booster la fertilité chez la femme n’a aucun fondement scientifique, renchérit Moïse Amuah, gynécologue-obstétricien au cabinet Femina à Abidjan (Côte d’Ivoire).
“La fleur de bissap n’est pas un remède connu en médecine moderne et je crois plutôt que la couleur rouge de ce jus a créé dans l’imagination populaire ce mythe d’un remède“, déclare Dr Amuah.
L’action présumée du bissap sur la fertilité n’a pas fait l’objet d’étude scientifique sérieuse, poursuit-il. “Le bissap n’est pas un régulateur hormonal, aucune étude connue jusqu’à ce jour ne l’a démontré“, explique le médecin.
“Cette publication Facebook prêtant des vertus gynécologiques et de fertilité au bissap est assez étrange et même dangereuse“, a dit à l’AFP Stéphane Besançon, Directeur général de l’ONG Santé Diabète au Mali. “Je ne pense pas que le jus de bissap peut (…) activer les bonnes hormones et rendre une femme fertile“.
En revanche, Stéphane Besançon a récemment évoqué dans une chronique sur Radio France Internationale (RFI), dans le magazine Priorité Santé, de possibles effets positifs du bissap sur l’hypertension modérée en s’appuyant sur une étude réalisée en 2009 par l’Université de Boston.
Le trèfle rouge et le framboisier
Il n’y a pas qu’en Afrique que les “remèdes miracle” pour favoriser la fertilité donnent lieu à des publications virales. En France aussi, de nombreux articles et blogs partagés sur les réseaux sociaux vantent des plantes qui “boostent la fertilité“, des “plantes et tisanes naturelles pour tomber enceinte“: ils vantent les prétendues vertus du trèfle rouge, du framboisier ou de l’ortie.
Dans un article de vérification de l’AFP, des médecins expliquent que ces allégations sont sans fondement scientifique. Ces professionnels mettent de plus en garde: la foi en ces faux remèdes peut retarder la prise en charge médicale en cas d’infertilité.
“Aucune étude scientifique n’a montré d’effet positif des plantes sur la fertilité”, explique à l’AFP Joëlle Belaïsch-Allart, gynécologue, présidente du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF).
“Je n’ai pas connaissance d’étude scientifique qui prouve l’efficacité de la naturopathie”, indique pour sa part à l’AFP la gynécologue Marie de Crécy, membre de la Fédération nationale des collèges de gynécologie médicale (FNCGM), interrogée également sur les vertus prêtées aux plantes en matière de fertilité.
“Si [les femmes] veulent le faire [consommer des plantes], elles peuvent le faire mais il ne faut pas qu’elles attendent que ça booste” quoique ce soit, ajoute la médecin.
“Des plantes qui boosteraient la fertilité, franchement, je ne vois pas”, dit aussi à l’AFP Catherine Bennetau-Pelissero, responsable du parcours “Plantes à Valeur Santé et Biomolécules d’intérêt”, master biologie agrosciences (Université de Bordeaux).
L’infertilité, un problème de santé publique
L’infertilité est définie par l’OMS comme “une affection du système reproducteur masculin ou féminin définie par l’impossibilité d’aboutir à une grossesse après 12 mois ou plus de rapports sexuels non protégés réguliers”. “On estime qu’entre 48 millions de couples et 186 millions de personnes sont touchés par l’infertilité dans le monde”, détaille l’Organisation mondiale de la santé sur une page de son site internet datée de 2020.
La stérilité, elle, désigne l’impossibilité totale de concevoir un enfant naturellement, lorsque les chances d’obtenir une grossesse sont nulles.
“Chez l’homme, l’infertilité est le plus souvent causée par des problèmes d’excrétion du liquide séminal, l’absence ou de faibles niveaux de spermatozoïdes, ou encore une anomalie au niveau de la forme et du mouvement des spermatozoïdes” tandis que “chez la femme, l’infertilité peut être due à toute une série d’anomalies des ovaires, de l’utérus, des trompes de Fallope et du système endocrinien, entre autres”, détaille l’OMS.
Le ministère français de la Santé a commandé un rapport sur ce problème de santé publique, sorti en février 2022 : “Rapport sur les causes d’infertilité – Vers une stratégie nationale de lutte contre l’infertilité”.
Le rapport note notamment que “la fréquence de l’infertilité masculine et féminine n’a cessé d’augmenter de façon particulièrement inquiétante, notamment au cours des vingt dernières années” mais que pourtant, “l’infertilité demeure un sujet peu débattu”, “encore trop souvent reléguée au second plan, à une simple ‘histoire de bonne femme'”
Selon les rapporteurs, “il est possible d’estimer que parmi les 24 millions d’adultes âgés de 20-49 ans en France, 3,3 millions de femmes et d’hommes ont rencontré dans leur couple des problèmes d’infertilité nécessitant une aide médicale”.
Selon l’Inserm, “dans trois quarts des cas, l’infertilité est d’origine masculine, féminine, ou elle associe les deux sexes. Dans 10 à 25% elle n’est pas attribuable à un défaut spécifique d’un des deux partenaires”.
L’augmentation des problèmes d’infertilité est liée à un “recul de l’âge à la maternité”, à “des facteurs environnementaux” des “causes médicales”, les trois facteurs pouvant se combiner.
La prise en charge de l’infertilité passe souvent par des traitements hormonaux via des comprimés ou des injections de produits précisément conçus et dosés médicalement. Des traitements chirurgicaux peuvent aussi intervenir, ainsi que l’insémination ou la fécondation in vitro (FIV).