Au Cameroun comme partout en Afrique subsaharienne, l’accès au système bancaire traditionnel, et donc au crédit est une affaire de privilégiés. Pour cause, un taux de bancarisation extrêmement faible de l’ordre d’à peine 30%, des procédures lourdes et rigides, un rationnement de crédit au gré des dispositions réglementaires de la BEAC et de la COBAC pour le cas de l’Afrique Centrale, une incohérence complète entre les exigences de garanties et la réalité socioéconomique spécifique à notre environnement.
Fort de cette exclusion du circuit officiel et encadré de l’argent, les agents économiques au Cameroun se retrouvent contraints de se retourner vers l’usure. L’usure étant le dépassement du plafond du taux effectif global (TEG) défini périodiquement par l’instance monétaire régionale, les usuriers usent et abusent de la détresse de leurs clients en dépassant largement cette limite réglementaire. Dans les circuits informels, les taux qui vont alors jusqu’à 40% mensuel sont souvent comptabilisés en intérêts composés, ce qui a pour effet de décupler la charge de remboursement. Les débiteurs se retrouvent ainsi asphyxiés par des volumes de dettes dont les seuls intérêts font parfois le double, voire le triple du principal. Une véritable descente aux enfers pour les familles, piégées par un niveau d’endettement largement au-dessus de leurs moyens.
Les raisons du recours à l’usure sont diverses : problèmes de scolarité, cautions de marchés publics, cas urgents de maladies, création d’entreprise, projet de construction etc. La tentation de céder aux services clandestins du crédit s’explique par l’absence de procédures et formalités contraignantes et les courts délais d’accès à l’argent. Au Cameroun, c’est des dizaines de milliers de personnes qui font carrière dans cette activité illégale, avec des volumes d’affaires côtoyant le milliard de francs CFA pour les plus actifs. En dépit d’être d’une rentabilité réputée rapide, sécurisée et apparemment facile, les risques de pertes restent énormes, aussi bien pour le prêteur que pour l’emprunteur. Pour se prémunir, les prêteurs ont recours à différentes formes de garanties : titres fonciers, véhicules, appareils et équipements de valeur entreposés chez le créancier, avec certificats de vente non datés, rétention de cartes de crédits et de cartes crises, chèques certifiés etc. Le débiteur par contre, ne dispose d’aucun moyen pertinent, encore moins légal de protection.
En cas de difficultés de remboursement, au meilleur des cas, il se retrouvera dépossédé financièrement et peut-être matériellement en cas de saisies ou vente des biens gagés ou hypothéqués. Au pire des cas, l’affaire se terminera à la gendarmerie ou au tribunal lorsque des garanties légales et autres engagements formels auront été produits, ou encore dans des règlements de comptes impliquant des menaces physiques et autres méthodes d’intimidation. L’essentiel des clients des usuriers sont des personnes à revenus modestes, dont les fonctionnaires, qui représentent plus de 70% d’entre eux. Les issues de ces transactions risquées sont souvent désastreuses pour les familles qui se retrouvent durablement déstabilisées du fait des désagréments dus à des poursuites judicaires, des pertes d’emplois, des saisies mobilières et immobilières, des stress générateurs de maladies chroniques, des divorces et bien d’autres infortunes subies par l’un de leurs membres.
En somme, la pratique de l’usure et son ampleur sont une véritable gangrène dans notre société. L’interdire par les autorités compétentes ne suffit plus. Il est impératif de prendre des mesures conséquentes face à la gravité de la situation, telles que : la réduction de la fracture sociale, la réduction du volume de l’informel qui représente 60% de l’activité économique réelle, la définition d’une politique d’adéquation du triptyque potentiel économique – Formation – Emploi, la création de structures de financements adaptés au contexte socioculturel local, et enfin la mise en place d’une politique favorable aux PME, leur assurant non seulement la facilité au crédit, mais aussi et surtout leur donnant accès aux marchés par l’imposition de parts dans tous les budgets des entreprises publiques et dans tous les contrats des grandes entreprises privées, locales et multinationales.
Paul ELLA,
Analyste Financier,
Directeur du Centre Africain de Recherche en Géostratégie
Email : paulella2007@gmail.com