Le 11 juin 2025, le gouvernement malien a adopté une révision de la Charte de la Transition, prolongeant le mandat du président de transition, le général Assimi Goïta, pour une durée de cinq ans renouvelable. Une décision qui s’aligne sur le modèle politique des autres membres de la Confédération des États du Sahel (AES), Burkina Faso et Niger. Derrière ce choix, une nouvelle vision de la légitimité du pouvoir, axée sur la souveraineté, la stabilité et la reconstruction.
La prolongation de la transition est présentée comme une réponse aux urgences sécuritaires et institutionnelles du pays. Pour les autorités maliennes, l’enjeu n’est plus de respecter des délais électoraux, mais de reconstruire un État affaibli par la guerre, les ingérences extérieures et les échecs politiques passés. Le pouvoir assume ainsi une rupture avec les schémas de gouvernance classique, en s’appuyant sur une légitimité populaire exprimée lors des Assises nationales de la refondation, dans le référendum constitutionnel de 2023, et dans le soutien à l’armée comme pilier de stabilité.
Cette orientation prend racine dans les décisions prises depuis le coup d’État d’août 2020, renforcé par la “rectification” de mai 2021. Les Assises nationales de décembre 2021 avaient recommandé une refonte profonde des institutions avant toute élection. En juin 2023, une nouvelle Constitution fut adoptée, renforçant les pouvoirs présidentiels, introduisant un Sénat, valorisant les langues nationales et légalisant les juridictions traditionnelles. Ces réformes visaient à ancrer l’État dans une réalité politique plus souveraine, moins dépendante des modèles extérieurs.
La décision du Mali s’inscrit dans une dynamique régionale assumée. L’alliance AES, née de la Charte du Liptako-Gourma puis transformée en confédération en 2024, adopte une gouvernance de guerre : centralisation du pouvoir, suspension du jeu électoral, coopération militaire renforcée. Pour ces trois États, confrontés aux mêmes menaces et aux mêmes critiques internationales, la refondation prime sur la compétition politique. Ils revendiquent une “démocratie de reconstruction”, fondée sur le temps long et la stabilité.
Cette nouvelle architecture de pouvoir inquiète autant qu’elle fascine. Elle remet en cause la légitimité procédurale défendue par les partenaires occidentaux et certaines organisations régionales. Les partis politiques traditionnels, marginalisés, dénoncent une confiscation du pouvoir. Certains craignent un glissement autoritaire masqué derrière le discours de la souveraineté. D’autres y voient une réappropriation légitime du destin national. Les tensions internes et les risques d’isolement diplomatique ne sont pas exclus.
Au cœur du débat, une question essentielle : qui détient aujourd’hui la légitimité au Sahel ? Les urnes ou les armes ? Les institutions ou le peuple ? En choisissant de prolonger la transition, les États de l’AES misent sur un contrat social nouveau, plus enraciné mais moins balisé. Ce pari implique une réussite tangible des réformes et une adhésion durable de la population. Si ces objectifs échouent, la déception sera profonde. Mais si cette trajectoire tient, elle pourrait préfigurer un autre chemin africain vers la stabilité.