Le procès de Mohamed Ould Abdel Aziz s’ouvre ce mercredi 25 janvier, à Nouakchott. L’ancien président est accusé notamment de corruption, de blanchiment d’argent ou encore d’enrichissement illicite, durant les dix années où il était au pouvoir. Ce procès est l’aboutissement de près de deux années de procédure judiciaire aux multiples rebondissements.
C’est en détention, dans un lieu inconnu, que Mohamed Ould Abdel Aziz a passé la nuit, avant l’ouverture de son procès ce matin. L’ancien président a été arrêté par la police hier après-midi « sur simple convocation, sans notification d’un quelconque mandat décerné par juge, à l’occasion des formalités préalables et obligatoires à l’audience » explique dans un communiqué Maître Ly Ciré Clédor, qui ajoute que « la police politique est déterminée à humilier » son client.
Depuis le début de l’affaire, les proches de Mohamed Ould Abdel Aziz dénoncent une chasse aux sorcières. « Sinon, comment expliquer que seul mon père, sur plus de 300 personnes mises en cause, ait été le seul à être emprisonné », s’indigne Asma Abdel Aziz, la fille de l’ancien président.
Manipulation politique
La ligne de défense des conseils du président Aziz est claire : c’est un procès politique qui se jouera dans les prochains jours. Les conseils de Mohamed Ould Abdel Aziz estiment que l’actuel pouvoir en place tente de se débarrasser de l’ancien président. « Que peut-on attendre d’un procès monté de toutes pièces ? » interroge Maître Taleb Khyar Mohamed.
La défense de l’ancien président accuse le ministère de la Justice d’avoir téléguidé l’instruction du dossier et remet en cause, l’enquête parlementaire qui a mené à l’ouverture d’une procédure judiciaire. « Dans un système républicain comme le nôtre, on n’a jamais vu un Parlement prendre le profil d’accusateur, poursuit Maître Taleb Khyar Mohamed. Les éléments qui ont déclenché cette procédure sont essentiellement issus de partis hostiles à Mohamed Ould Abdel Aziz. »
Procès historique contre la corruption
Des mots qui n’inquiètent pas les avocats de l’État mauritanien, partie civile dans ce procès, qui y voient plutôt, une occasion historique de lutter contre la corruption. « C’est la première fois, en Afrique et dans le monde arabe, qu’un président est jugé pour des faits de corruption » s’enorgueillit Maître Brahim Ould Ebety, président du collectif des avocats de l’État mauritanien.
À cet égard, ce procès reste d’ampleur historique : deux années de procédures, 12 accusés dont un ancien président, deux anciens premiers ministres, plusieurs anciens ministres, un dossier d’instruction de près de 5 000 pages, plus d’une vingtaine de témoins appelés à comparaître, et une soixantaine d’avocats pour plaider.
Les comptes de l’État et des sociétés publiques seront scrupuleusement épluchés. Et les preuves ne manquent pas selon Maître Brahim Ould Ebety : « il y a l’utilisation de l’État pour s’emparer d’un patrimoine immobilier important, l’utilisation du nom de l’État pour intervenir dans les marchés publics, et une ONG, fondée par le fils de Mohamed Ould Abdel Aziz, utilisée pour le blanchiment d’argent. »
Selon les avocats de l’État mauritanien, le patrimoine de Mohamed Ould Abdel Aziz a considérablement augmenté durant ses dix années au pouvoir. Au moment de son inculpation, en mars 2021, il était évalué à 67 millions d’euros et selon Maître Brahim Ebety, des investigations sont encore en cours sur ses avoirs à l’étranger.
La corruption, un mal endémique
L’affaire est suivie de près par la société civile. En mai 2021, après l’enquête parlementaire, quatorze organisations se sont réunies dans une Alliance nationale de lutte contre la corruption qui s’est portée partie civile.
« Cela ne veut pas dire que ce problème sera éradiqué, concède Mohammed Abdallahi Bellil, président de l’Observatoire mauritanien de lutte contre la corruption. C’est un grand phénomène, aux racines profondes. La corruption ne se rencontre pas seulement au niveau des institutions de l’État, elle ronge la société elle-même. »
Mohamed Ould Abdel Aziz et ses co-accusés encourent des peines allant jusqu’à 20 années d’emprisonnement, mais ce qui intéresse vraiment les parties civiles, « c’est le recouvrement des fonds détournés » conclut Maître Ebety.
Quelle que soit l’issue de ce procès, sa tenue est considérée comme historique en Mauritanie, car c’est la première fois qu’un président comparait devant la justice pour des faits de corruption. La Mauritanie a déjà jugé et condamné deux chefs d’État, en 2003 et en 1978, pour des crimes de sang et d’atteinte à la sûreté de l’État.
rfi