Le Niger a officiellement modifié son cadre linguistique avec la publication, la semaine dernière, de la charte de la refondation au Journal officiel. Ce texte, qui marque une rupture avec la constitution antérieure suspendue après le coup d’État du 26 juillet 2023, a été promulgué par le chef de l’Etat, Abdourahamane Tiani, lors d’une cérémonie tenue à Niamey le 26 mars. L’une des décisions majeures de cette charte est la reconfiguration du statut des langues dans le pays : le haoussa est désormais désigné comme langue nationale, tandis que le français est relégué au rang de langue de travail.
L’article 12 de cette nouvelle charte ne mentionne plus de langue officielle, mais énumère plutôt les onze langues nationales du Niger, avec une priorité donnée au haoussa, la langue la plus parlée du pays. Selon des experts, notamment des linguistes interrogés par RFI, le haoussa est compris par une large majorité des Nigériens, ce qui en fait un choix pragmatique pour la consolidation de l’unité nationale. Le zarma-songhaï, qui est la seconde langue la plus parlée, arrive en deuxième position parmi les langues du pays, représentant environ un quart de la population.
Cette évolution s’inscrit dans un contexte politique particulièrement tendu, marqué par une rupture nette avec la France et l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Les nouvelles autorités nigériennes, qui ont pris le pouvoir après le coup d’État de juillet 2023, ont exprimé une volonté de redéfinir leur indépendance vis-à-vis de l’ancienne puissance coloniale. En parallèle, plusieurs rues portant des noms de personnalités françaises ont été débaptisées récemment, soulignant une volonté de se distancier des influences françaises. Le changement de statut du français s’inscrit donc dans un projet plus vaste de refondation de l’identité nationale du Niger.
L’une des grandes interrogations qui subsistent concerne les implications pratiques de cette réforme. En replaçant le français au statut de langue de travail, les autorités nigériennes risquent-elles de fragiliser les relations avec les pays francophones, notamment les anciennes puissances coloniales ? De plus, le haoussa, bien que largement compris, est-il réellement en mesure de fédérer l’ensemble de la population, y compris les communautés minoritaires, sans provoquer de tensions internes ? Le temps dira si cette décision entraînera des fractures linguistiques ou, au contraire, contribuera à renforcer la cohésion nationale.
Certains observateurs, notamment sur les réseaux sociaux, expriment des préoccupations quant à une possible hiérarchisation des langues nationales, craignant que les langues locales comme le haoussa ne prennent une place dominante au détriment des autres. Ces inquiétudes portent également sur le risque de communautarisme, certains redoutant que cette réforme n’aboutisse à une marginalisation des autres groupes linguistiques. À ce jour, les autorités n’ont pas précisé comment elles comptent gérer l’équilibre entre les différentes langues nationales, ce qui reste un point crucial dans la mise en œuvre de cette réforme.
La réaction de la population reste divisée. D’un côté, des citoyens accueillent favorablement ce changement, estimant que la promotion des langues locales renforcera l’identité culturelle du pays. De l’autre, des voix s’élèvent pour dénoncer une réduction de l’importance du français, qui reste un outil de communication internationale, notamment dans les domaines économiques et diplomatiques. Si les autorités réussissent à gérer ces tensions, la réforme pourrait devenir un modèle de décolonisation linguistique en Afrique, mais son succès dépendra largement de la manière dont elle sera mise en œuvre sur le terrain.