Avec l’entrée en vigueur des tarifs douaniers américains de 25% sur l’automobile le 2 avril dernier, le Bureau d’assurance du Canada (BAC) redoute l’augmentation des coûts de l’assurance automobile.
Le Bureau d’assurance du Canada est l’association industrielle nationale qui représente les assureurs privés d’habitation, automobile et entreprise du Canada. Elle a expliqué dans une récente déclaration que les droits de douane auront un impact sur l’assurance, car ils ajoutent des coûts supplémentaires aux biens utilisés pour remplacer et réparer les voitures.
« Les tarifs, et notamment, ceux de 25 % imposés par les États-Unis sur les importations canadiennes, pourraient entraîner une augmentation des coûts de réparation, de pièces et de main-d’œuvre, ce qui pourrait à son tour augmenter les primes d’assurance », peut-on lire.
L’organisation souligne que dans le contexte de la guerre tarifaire, le secteur automobile sera probablement le plus affecté, en raison de la nature hautement interconnectée des chaînes d’approvisionnement en automobiles et en pièces détachées au Canada et aux États-Unis.
Plusieurs experts sont unanimes sur la question et ils croient que ce qui fait peur, c’est de voir les prix des véhicules augmenter et, dans ce cas-là, on verra nécessairement des augmentations conséquentes au niveau des assurances, mais surtout d’importantes répercussions sur le coût de remplacement des pièces qui fait aussi peur aux assureurs parce qu’il faut se rendre à l’évidence qu’il s’agit bien de pièces neuves, même pour des véhicules d’occasion. Très souvent, ce sont des pièces fabriquées aux États-Unis, au Mexique ou ailleurs. Et donc, elles seront nécessairement frappées de droits de douane dont le net corollaire n’est nul autre que l’augmentation des coûts des réparations.
Des chaînes d’approvisionnement interconnectées
Pour en rajouter à l’incertitude, l’industrie canadienne de l’automobile devra également affronter les contre-tarifs dont les contrecoups ne sont pas sans répercussions du côté canadien de la frontière. Sur les modalités d’application à la frontière, l’agence des services frontaliers du Canada explique que « le gouvernement du Canada impose des tarifs douaniers de 25 % sur les importations de certains produits en provenance des États-Unis. L’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) perçoit ces droits sous la forme d’une surtaxe ».
Le système de va-et-vient à la frontière auquel est soumise l’industrie automobile en Amérique du Nord fait en sorte que même les véhicules considérés comme locaux ou fabriqués aux États-Unis ne sont pas à 100% américains. Dès lors que l’administration Trump impose 25% de droits de douane à tout le monde, l’onde de choc va s’étendre à toutes les usines de l’automobile au Canada et ailleurs.
L’exemple le plus courant est le Ford 150 qui a la réputation d’être le véhicule le plus vendu en Amérique du Nord, toutes catégories confondues, depuis plus de 40 ans. Le spécialiste de journalisme automobile, par ailleurs fondateur et rédacteur en chef du magazine l’Annuel de l’automobile, Benoît Charette, note que les usines de Ford sont effectivement aux États-Unis et notamment au Michigan où se trouve l’un de ses plus importants complexes industriels ou à Kansas City dans le Missouri. Cependant, relève-t-il, si l’assemblage est fait aux États-Unis, les moteurs proviennent soit du Mexique, soit du Canada, la boîte de vitesse quant à elle vient du Mexique, tout l’intérieur provient du Mexique, les batteries des modèles électriques ou des modèles hybrides proviennent de Chine, les tableaux d’info divertissement et tout ce qui relève de l’électronique vient de la Corée du Sud, donc à chaque fois on va mettre des tarifs douaniers de 25% à chacun de ces produits qui doivent arriver à l’usine d’assemblage.
Tout cela sans compter avec l’usine d’assemblage d’Oakville en Ontario qui nourrissait de nouveaux plans de relance depuis l’année dernière. Plutôt que d’y produire des voitures électriques à partir de 2027, le constructeur automobile aimerait convertir ses installations pour y fabriquer des camions de la série F dès 2026. C’est à se demander quel sera le sort de cette ambition d’expansion dans ce contexte de guerre tarifaire.
De façon plus concrète, M. Charette fait remarquer qu’une boîte de vitesses pour un F150 vaut environ 3000$ et elle est fabriquée au Mexique. Il faut donc envisager une augmentation de 750$ parce qu’il y a 25% de droits de douane, et on pourrait conclure sans risque de se tromper, dit-il, qu’il y aura des augmentations de 5 à 8 000 sur les prix des véhicules, même ceux qui sont considérés comme étant des véhicules américains, alors qu’on va être sur une augmentation de 10 à 15 000$ pour les véhicules importés, tout dépendant évidemment du prix initial du véhicule. Le peuple américain n’est pas moins concerné par ces prévisions sévères du marché de l’automobile.
L’initiative des principaux constructeurs automobiles de rencontrer le président Trump, bien avant le 2 avril, pour le dissuader d’imposer ces tarifs douaniers s’est avérée infructueuse. Bien au contraire, le président américain a décidé d’aller de l’avant avec sa décision, non sans demander au passage aux constructeurs de ne pas augmenter les prix des véhicules.Cela reste une très mauvaise idée, selon Benoît Charette.
Personne ne peut absorber 25% d’augmentation dans l’industrie automobile, soutient-il. Même si les Américains ne suivent pas généralement la politique, dit-il, il ne tarderont pas à réaliser que les prix ont augmenté chez le fournisseur du coin et peut-être qu’à ce moment-là, ils voudront se lever pour dénoncer les tarifs douaniers intenables de la Maison-Blanche.
Peut-on diversifier les fournisseurs ?
De plus, changer de fournisseur pourrait s’avérer plus compliqué. Les fournisseurs ont un calendrier de commandes qui est souvent plein un ou deux ans à l’avance, donc on ne peut pas se dire sur un coup de tête, que sur une réparation, on va appeler un fournisseur pour rectifier le tir. C’est à croire, en définitive, que l’industrie automobile va souffrir comme elle n’a jamais souffert, selon les observateurs.
Charles Bernard, économiste principal pour la Corporation des associations de détaillants automobiles, compte sur la synergie entre les assureurs et les fournisseurs en vue de développer des stratégies qui permettraient de limiter l’impact des tarifs pour les consommateurs. Il pense à la production canadienne des pièces détachées.
Certaines marques pourraient décider de puiser dans la production de pièces directement au pays, ce qui permettrait d’éviter quelques traversées de frontières et d’alléger le prix des services après-vente, dit-il.
En guise de piste de solution, le Bureau de l’automobile du Canada n’est pas loin de cette approche, car il propose aux assureurs d’alléger les coûts en remplaçant les produits américains dans leurs chaînes d’approvisionnement. Les réparateurs devront pour cela aller s’approvisionner dans d’autres pays, et notamment en Europe, au risque de faire face à des coûts de transports plus élevés.
La Chine ne saurait faire partie de la solution, car le Canada avait déjà imposé des droits de douane de 100% sur les véhicules électriques chinois l’année dernière. Depuis lors, certaines entreprises ont fait leurs nids ailleurs et ne pourraient pas revenir sur la destination canadienne sur un claquement de doigts. Il devient donc très difficile d’écarter la possibilité que l’assurance automobile soit plus coûteuse au Canada dans les prochains mois.
Jean Vincent Bolivar