À quelques mois de la présidentielle camerounaise, deux figures politiques du Nord, Issa Tchiroma Bakary et Bello Bouba, remettent en cause leur alliance avec le président Paul Biya. Le premier a lancé une attaque virulente contre le régime lors d’un meeting à Garoua, tandis que le second fait face à une fronde interne au sein de son parti, l’UNDP, qui exige une rupture avec le RDPC. Une contestation qui pourrait bouleverser les équilibres politiques dans cette région stratégique représentant près de 40 % de l’électorat national.
Ancien porte-parole du gouvernement et fidèle soutien du président, Issa Tchiroma a surpris en dénonçant publiquement, dans sa ville natale, la pauvreté, le chômage et l’absence de perspectives pour les jeunes. S’exprimant en langue locale, il a incité les militants du FSNC à tourner le dos à celui qui, sans le nommer, serait « responsable de leurs malheurs depuis 40 ans ». Il affirme simplement relayer le ras-le-bol de sa base, mais ses propos sont interprétés comme un désaveu clair de Paul Biya. Interrogé sur une éventuelle candidature, il reste évasif : « Vous aurez bientôt toutes les clarifications. »
Ces prises de position interviennent dans un climat de lassitude croissante vis-à-vis du pouvoir en place. À 91 ans, Paul Biya cumule plus de quatre décennies à la tête du Cameroun. Le pacte politique noué entre le RDPC et certaines élites du Nord, historiquement marginalisé, semble aujourd’hui fragilisé. Le soutien de figures comme Tchiroma ou Bello Bouba a longtemps permis au régime de maintenir un équilibre régional, mais les frustrations sociales et économiques semblent désormais primer sur les loyautés politiques.
La convocation d’un comité central extraordinaire de l’UNDP pour le 28 juin pourrait acter une rupture. Pressé par sa base, Bello Bouba, ministre d’État depuis 28 ans, est sommé de s’émanciper de l’alliance avec le RDPC et de présenter sa propre candidature à la présidentielle. Le Secrétaire à la communication de l’UNDP, Maïdadi Saidou, appelle ouvertement à ce changement de cap, estimant que l’alliance actuelle a « vécu ». Ce repositionnement pourrait affaiblir sérieusement la majorité présidentielle dans une région-clé.
Du côté du RDPC, la réponse est tranchante. Pour Hervé Emmanuel Nkom, membre influent du parti présidentiel, Issa Tchiroma a franchi la ligne rouge : « On ne peut pas être dedans et dehors à la fois. » Cette déclaration confirme que le pouvoir prend très au sérieux ces signaux venus du Nord. Mais s’agit-il d’un véritable divorce ou d’un simple moyen de pression dans la perspective de futures négociations politiques ?
Ce qui se joue ici dépasse les ambitions personnelles. Le Nord, longtemps considéré comme un bastion contrôlé via des alliances, semble désormais prêt à faire entendre sa voix propre. Si Issa Tchiroma et Bello Bouba rompent effectivement avec Paul Biya, cela ouvrirait la voie à une redistribution des cartes électorales. Le scrutin présidentiel, dont la date n’a pas encore été fixée, pourrait alors se jouer sur de nouvelles dynamiques, avec un Nord moins docile et plus exigeant.