Pour la première fois de son histoire, la Banque africaine de développement (BAD) sera dirigée par un ressortissant du Sahel. Sidi Ould Tah, technocrate mauritanien de 61 ans, a été élu le 29 mai à la présidence de l’institution panafricaine. Discret mais influent, il succède à Akinwumi Adesina avec une réputation bâtie sur trois décennies de gestion publique, de diplomatie financière et de multilatéralisme pragmatique.
Formé en France, Sidi Ould Tah est diplômé en sciences économiques, doté d’un doctorat de l’université de Nice, et d’un DEA de Paris VII. Il complète sa formation par des programmes de leadership à Harvard, à la London Business School et au Swiss Finance Institute. Très tôt, il gravit les échelons de l’administration mauritanienne, dirigeant des structures comme la mairie de Nouakchott ou le port autonome de la capitale. Mais c’est à partir de la fin des années 1990 que sa carrière prend une dimension régionale, puis continentale, grâce à des postes à la Banque islamique de développement (BID) et à la BADEA.
Le retour en Mauritanie en 2006 marque une étape politique, avec un poste de conseiller économique, puis de ministre de l’Économie et des Finances. Il y mène des réformes budgétaires ambitieuses et renforce l’attractivité du pays auprès des bailleurs internationaux. En 2015, il est élu président de la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (BADEA), poste qu’il occupera pendant près d’une décennie. Sous sa direction, l’institution voit son capital quadrupler, son influence s’élargir, et ses opérations se consolider même en temps de crise, comme lors du transfert du siège de Khartoum à Riyad en 2023.
À la tête de la BAD, Sidi Ould Tah arrive à un moment stratégique. Il devra répondre à une série de défis lourds : accélérer le financement des infrastructures continentales, renforcer la sécurité alimentaire, et intégrer les réponses au changement climatique dans les politiques économiques. Son profil technique, sa maîtrise des dynamiques de cofinancement Sud-Sud et son réseau dans les cercles arabes et africains devraient favoriser une approche équilibrée, méthodique et inclusive.
Loin des discours flamboyants, Sidi Ould Tah séduit par un style réservé mais résolument tourné vers l’action. Il parle peu, mais construit. Ce positionnement non clivant, rare dans les sphères financières internationales, le place comme un homme de consensus, capable de dialoguer aussi bien avec les bailleurs arabes qu’avec les ministres africains des finances. Sa nomination incarne un tournant géopolitique : le Sahel, longtemps marginalisé dans les grandes institutions, y trouve désormais un visage crédible, stable et compétent.
L’ascension de Sidi Ould Tah coïncide avec une Mauritanie en pleine mutation, plus présente sur la scène diplomatique et mieux insérée dans les dynamiques africaines. En accédant à la présidence de la BAD, il en devient l’un des représentants les plus visibles, porteur d’une vision de développement concerté, réaliste, et profondément ancrée dans les besoins des pays africains. Son mandat, s’il tient ses promesses, pourrait redéfinir les équilibres internes de la BAD et renforcer sa légitimité sur le continent.