Dans une tribune publiée le 4 juin dans Le Monde, soixante-quinze lauréats du prix Nobel ont lancé un appel solennel à la communauté internationale pour qu’elle se mobilise face aux souffrances endurées depuis des décennies par les populations de l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Cette initiative, impulsée par Denis Mukwege, prix Nobel de la paix 2018, vise à briser le silence entourant un conflit dont l’ampleur et la durée ne rencontrent pas de réponse politique à la hauteur.
Parmi les signataires figurent des figures prestigieuses issues de disciplines aussi diverses que la médecine, la chimie, la littérature ou la paix, à l’image du Nigérian Wole Soyinka ou du Britannique David MacMillan. Leur message est clair : la situation dramatique de l’est de la RDC est le produit de décennies de violences armées, de catastrophes humanitaires et de violations graves du droit international, toutes perpétrées dans un climat d’impunité totale. Ils dénoncent une passivité coupable des grandes puissances, et réclament un changement de paradigme.
Depuis le génocide rwandais de 1994, l’est de la RDC est devenu un champ de ruines humanitaires et sécuritaires. Des groupes armés locaux et étrangers y opèrent dans une impunité quasi totale. Les violences sexuelles utilisées comme arme de guerre, les déplacements massifs de populations, l’effondrement des infrastructures civiles : tout cela constitue une guerre à bas bruit dont les victimes restent largement invisibles aux yeux du monde. Les signataires pointent un désintérêt politique international structurel, nourri par des logiques géopolitiques sélectives.
Face à cette situation, les 75 prix Nobel réclament la tenue d’une conférence internationale sur la paix en RDC, afin de replacer le conflit au cœur des priorités de l’agenda global. Ils jugent inacceptable le double standard entre la réaction immédiate à l’invasion russe de l’Ukraine et l’indifférence persistante vis-à-vis de l’agression étrangère sur le sol congolais. Ils dénoncent en particulier la présence de troupes rwandaises en RDC, qualifiée d’« agression illégale », malgré les avertissements du Conseil de sécurité des Nations unies.
La tribune ne se limite pas à un cri d’alerte. Elle constitue un avertissement moral à l’égard des dirigeants internationaux, accusés de tolérer, par leur silence ou leur inaction, une tragédie humaine qui pourrait être évitée. En parallèle, elle renforce la position de Denis Mukwege, dont l’engagement en faveur des victimes des violences sexuelles a souvent été isolé, voire combattu, y compris dans son propre pays. La voix de ces 75 Nobel redonne un poids politique à son combat.
Reste à voir si cet appel sera suivi d’effets concrets. Les inerties diplomatiques, les jeux d’intérêts régionaux et l’influence croissante de certains acteurs africains auprès des puissances occidentales constituent autant d’obstacles à une mobilisation réelle. Mais ce texte place les responsables internationaux face à leurs contradictions, et invite à repenser les priorités d’une diplomatie sélective qui, jusqu’ici, a laissé les populations congolaises livrées à elles-mêmes.