L’ancien ministre congolais de la Justice, Constant Mutamba, comparaît ce mercredi devant la Cour de cassation à Kinshasa. Il est poursuivi pour un présumé détournement de 19 millions de dollars, destinés à la construction d’un complexe pénitentiaire à Kisangani. Contraint à la démission fin juin, celui qui critiquait sévèrement la magistrature se retrouve désormais face à ses anciens interlocuteurs dans un procès à forte charge politique.
Selon l’accusation, Constant Mutamba aurait lancé le projet pénitentiaire sans autorisation préalable de la Première ministre, en débloquant les fonds dans l’intention de les détourner. Le procureur assure que ce détournement est « établi » et que la preuve en sera apportée à l’audience. Il précise que si les fonds n’ont pas été perçus par l’entreprise bénéficiaire, c’est grâce à l’intervention rapide de la cellule de renseignement financier. L’ex-garde des Sceaux échappe toutefois à plusieurs autres accusations — dont injure publique et menaces — écartées par l’Assemblée nationale.
La chute de Constant Mutamba intervient dans un contexte de crispation croissante entre l’exécutif et certains acteurs de la justice. Nommé en décembre 2023, Mutamba s’était rapidement imposé comme un ministre au ton offensif, dénonçant régulièrement l’inaction et la corruption présumée dans les rangs des magistrats. Cette posture l’avait isolé, autant dans les milieux judiciaires que politiques. Sa mise en cause est perçue par ses soutiens comme une sanction politique, voire une tentative de neutralisation.
Le procès pourrait raviver les tensions institutionnelles déjà palpables entre l’appareil judiciaire et le pouvoir exécutif, à quelques mois de réformes annoncées dans le secteur. Il risque également d’ébranler davantage la majorité présidentielle, déjà fragilisée par les critiques sur la lenteur de la lutte anticorruption. Si Mutamba est condamné, cela marquerait un précédent significatif pour un ancien ministre encore influent dans les cercles politiques. S’il est blanchi, cela relancerait les accusations d’instrumentalisation de la justice à des fins politiques.
L’ancien ministre dénonce une cabale montée contre lui pour l’empêcher de mener à bien les réformes judiciaires. Il y voit aussi une tentative de torpiller la stratégie gouvernementale face à « l’agression rwandaise » dans l’Est du pays, un dossier qu’il avait publiquement évoqué peu avant sa chute. Son entourage parle d’un simple dysfonctionnement administratif, et non d’un détournement avéré. « Ce procès, c’est la revanche d’une magistrature vexée », confie l’un de ses proches.
Plus qu’un simple contentieux, ce procès soulève des questions fondamentales sur la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice en RDC. L’enjeu dépasse la personne de Mutamba : il interroge sur la capacité du système judiciaire à juger équitablement, sans pression politique, un ancien membre du gouvernement. Pour nombre d’observateurs, cette audience sera scrutée comme un test de crédibilité, dans un pays où la défiance envers la justice reste profondément enracinée.