La Cour constitutionnelle de la République démocratique du Congo a condamné, mardi 20 mai, l’ancien Premier ministre et opposant politique Augustin Matata Ponyo à dix ans de travaux forcés. Il est reconnu coupable de détournement de plus de 245 millions de dollars dans le cadre du projet avorté du parc agro-industriel de Bukangalonzo. Deux de ses coaccusés, actuellement à l’étranger – l’ancien gouverneur de la Banque centrale Deogratias Mutombo et l’homme d’affaires sud-africain Christo Grobler – ont écopé de cinq ans de prison ferme.
Les juges ont conclu que Matata Ponyo avait « conçu, participé et bénéficié » des malversations, notamment en validant des paiements surfacturés et en approuvant des travaux jamais réalisés. Au total, 156 millions de dollars étaient alloués au parc agro-industriel et 89 millions au marché international de Kinshasa, sans qu’aucun des deux projets ne voie le jour. En plus de sa condamnation, l’ancien chef du gouvernement perd ses droits civiques pour cinq ans et ses biens, tout comme ceux de ses complices, seront saisis au prorata des sommes détournées.
L’affaire Bukangalonzo illustre l’impunité de certaines élites face à la mauvaise gestion des fonds publics dans un pays en quête de développement. Inauguré en 2014 comme un projet phare pour relancer l’agriculture congolaise, le parc agro-industriel avait été présenté comme un modèle de partenariat public-privé. Très tôt, des soupçons ont émergé sur l’opacité des contrats et la viabilité économique du projet. La procédure judiciaire, ouverte en 2021, a été marquée par plusieurs interruptions, sur fond de bras de fer entre les institutions.
Matata Ponyo, toujours en liberté à l’heure du verdict, s’abrite derrière son immunité de député national. Ses avocats dénoncent une décision « inique » et annoncent leur intention de contester la constitutionnalité du jugement. La défense évoque une procédure entachée d’irrégularités, notamment l’absence de levée formelle de l’immunité parlementaire par l’Assemblée nationale. De son côté, le parquet général près la Cour constitutionnelle se dit prêt à émettre un mandat d’arrêt dans les prochaines heures.
Au-delà du volet judiciaire, cette condamnation pose la question du devenir politique de Matata Ponyo, qui s’était affirmé comme l’une des principales figures de l’opposition depuis la présidentielle de 2018. Plusieurs analystes y voient un signal envoyé à l’élite politique à la veille de futures échéances électorales. Pour d’autres, l’affaire Bukangalonzo révèle les limites structurelles des grands projets lancés dans l’opacité, sans mécanismes solides de contrôle ou d’évaluation.
Cette décision marque un tournant dans la volonté affichée des autorités congolaises de lutter contre la corruption. Si elle est appliquée, la condamnation de Matata Ponyo pourrait servir de précédent dans d’autres dossiers encore en suspens. Reste à savoir si l’exécution du jugement sera effective ou si elle se heurtera à des résistances politiques et institutionnelles, notamment au sein du Parlement.