Le procès de l’ancien ministre de la Justice de RDC, Constant Mutamba, accusé de détournement de 19 millions de dollars initialement destinés à la construction d’une prison à Kisangani, a connu un rebondissement le 6 août. Lors d’une audience cruciale devant la Cour de cassation, l’accusé a récusé deux magistrats, dont le président de la chambre et le juge Thomas Otshudi, qu’il accuse de menaces et d’intimidation. Ce coup de théâtre judiciaire a marqué un tournant dans cette affaire aux multiples ramifications politiques et administratives.
Face à la récusation, le président de la chambre a préféré se retirer volontairement, dans une lettre lue à l’audience. Le juge Thomas Otshudi, lui, a contesté les accusations tout en dénonçant les pressions extérieures, déclarant que « la justice en RDC ne s’exerce ni sous la dictature du populisme ni sous celle de l’opinion ». L’audience a néanmoins repris avec une nouvelle composition de juges, qui ont entendu plusieurs témoins, dont l’ancienne ministre de la Justice, Rose Mutombo, appelée à expliquer l’origine de fonds versés au ministère entre 2021 et 2023.
Selon Rose Mutombo, les fonds en question – issus d’un accord entre l’Ouganda et la RDC – ont été gérés selon une procédure initiée avant sa prise de fonction. Elle renvoie la responsabilité à ses prédécesseurs. D’autres hauts fonctionnaires entendus ont affirmé n’avoir jamais été impliqués dans le projet. Seule exception : le chef de division de la Justice dans la province de la Tshopo, qui reconnaît un lien avec le projet. La directrice du contrôle des marchés publics, de son côté, a souligné l’absence d’autorisations réglementaires avant les décaissements.
Ce procès met en lumière les failles récurrentes de la gestion des fonds publics en RDC, en particulier dans le secteur des infrastructures. Le chantier de la prison de Kisangani, qui devait incarner un progrès en matière carcérale, n’a jamais vu le jour. Les fonds ont été dépensés, les responsabilités se diluent, et la justice peine à reconstituer la chaîne de décision. L’absence remarquée de la Première ministre Judith Suminwa, qui a demandé à être dispensée pour des « raisons d’État », accentue encore le flou politique entourant l’affaire.
La reprise du procès est prévue pour le 13 août. Sauf nouveau report, cette audience devrait être la dernière, avec les plaidoiries de la défense et le réquisitoire du ministère public. Mais même si le procès touche à sa fin sur le plan judiciaire, de nombreuses zones d’ombre persistent. Qui a réellement autorisé les transferts de fonds ? Pourquoi aucune construction n’a été lancée ? Et comment expliquer l’opacité des décisions au sein d’un ministère aussi stratégique ?
Au-delà du cas Mutamba, ce procès est un révélateur des tensions entre institutions judiciaires, politiques et administratives. La récusation des juges, les absences de témoins-clés, la fragmentation des responsabilités et le manque de transparence illustrent les défis structurels qui minent la justice congolaise. L’issue du procès sera scrutée comme un test de la capacité des institutions à rendre des comptes, dans un contexte où les scandales financiers ne manquent pas.