À peine nommé, Kamel Idriss a déjà provoqué de vives divisions au Soudan. Le 30 mai, l’ancien haut fonctionnaire des Nations unies, désigné Premier ministre par le général Abdel Fattah al-Burhan il y a deux semaines, a annoncé la dissolution du gouvernement intérimaire et a chargé les directeurs des ministères d’expédier les affaires courantes. Cette décision, prise sans consultation nationale, suscite de fortes tensions jusque dans les rangs mêmes des partisans du régime militaire.
La désignation de Kamel Idriss, perçue comme unilatérale, alimente la défiance. Des partis politiques refusent catégoriquement toute nomination avant la fin des hostilités, estimant qu’un retour à la légalité ne peut passer que par un accord global. D’autres dénoncent une violation flagrante du droit, rappelant que seul un processus inclusif peut permettre une transition crédible. L’armée tente malgré tout de rassurer, en mettant en avant le profil « civil » de Kamel Idriss. Une stratégie de communication destinée à contrer les critiques, internes comme externes.
Depuis le renversement du gouvernement de transition dirigé par Abdallah Hamdok en 2021, le Soudan est en proie à une guerre civile dévastatrice entre les Forces armées soudanaises (FAS) et les Forces de soutien rapide (FSR). Le pays s’enlise dans un chaos politique, humanitaire et économique. Des millions de déplacés, une économie à l’agonie, des institutions vidées de leur légitimité : c’est dans ce climat que l’armée cherche à reprendre la main, au risque d’aggraver les fractures.
L’annonce de la nomination de Kamel Idriss intervient alors que l’armée soudanaise est de plus en plus isolée à l’international. Depuis le putsch de 2021, le Soudan est suspendu de l’Union africaine et largement marginalisé par les partenaires occidentaux. En installant un Premier ministre civil, Khartoum espère relancer un semblant de processus politique et desserrer l’étau diplomatique. Certains pays arabes et africains ont déjà salué cette décision, y voyant une ouverture.
Pour de nombreux analystes, cette nomination est moins un geste de réconciliation qu’un calcul stratégique. En internalisant un profil modéré et internationalement reconnu, l’armée cherche à se repositionner sans réellement renoncer au pouvoir. Kamel Idriss risque ainsi de servir de caution civile à un système toujours dominé par les militaires. L’absence de base populaire et l’opposition d’une partie des forces politiques risquent d’annuler tout effet positif à court terme.
Avec un pays à reconstruire, une guerre toujours active et une légitimité contestée, la marge de manœuvre de Kamel Idriss est extrêmement réduite. Sans appui populaire ni consensus politique, il pourrait rapidement devenir une figure de transition creuse, incapable de peser dans les décisions stratégiques. Tant que les armes ne se taisent pas, toute tentative de normalisation risque de rester vaine.