Le parquet général du Tchad a requis ce 8 août une peine de 25 ans de prison ferme contre Succès Masra, président du parti d’opposition Les Transformateurs. L’ancien Premier ministre de transition est jugé pour des faits graves : incitation à la haine raciale, association de malfaiteurs et implication présumée dans des assassinats liés aux violences meurtrières survenues à Mandakaou, dans le sud du pays.
Le procès, entamé le 7 août devant la chambre criminelle, a donné lieu à un affrontement tendu entre le parquet et la défense. Succès Masra nie catégoriquement toute implication dans les violences qui ont fait 76 morts, affirmant qu’il s’agit d’un procès politique destiné à l’écarter de la scène. Il dénonce une manipulation orchestrée par le pouvoir et rappelle que les accords d’octobre 2023 avec le gouvernement de transition n’ont pas été respectés, en particulier ceux liés à sa réintégration politique.
Le contexte politique est lourd : après la transition enclenchée par la mort d’Idriss Déby en 2021, son fils Mahamat Idriss Déby a pris les rênes du pays, promettant une transition inclusive. L’accord signé en octobre 2023 visait à réintégrer l’opposition, dont Masra, dans le jeu politique. Mais le retour en force du pouvoir militaire et la répression des manifestations ont ravivé les tensions. L’arrestation de Masra le 16 mai à N’Djaména a marqué un tournant, perçu par ses partisans comme un retour aux méthodes autoritaires.
Au-delà de la peine requise, le parquet a demandé une amende de 5 milliards de francs CFA contre les 58 co-accusés de Masra, ainsi que le gel de leurs biens. Le signal est clair : le pouvoir entend frapper fort contre toute forme de contestation organisée. Si la chambre criminelle suit les réquisitions, l’opposition tchadienne pourrait perdre l’un de ses visages les plus structurés, à l’approche d’échéances électorales cruciales.
Ce procès remet en lumière les difficultés de l’opposition à exister dans un système verrouillé. Le discours de Masra, notamment un enregistrement où il appellerait les populations du sud à se soulever, est au cœur de l’accusation. Mais ses soutiens dénoncent une instrumentalisation sélective des faits et une volonté d’intimider. Plusieurs organisations de défense des droits humains ont exprimé leurs inquiétudes sur les conditions de sa détention et l’indépendance de la justice tchadienne.
L’affaire Masra renvoie aussi à un clivage ancien et profond entre le nord, historiquement militarisé et au pouvoir, et le sud, souvent marginalisé. En désignant Masra comme instigateur d’une révolte armée dans cette région, le pouvoir ravive des tensions ethno-régionales explosives. Quelle que soit l’issue du procès, le traitement réservé à ce dossier risque d’aggraver les fractures nationales plutôt que de les résorber.