Une voix respectée et longtemps silencieuse s’élève pour demander la libération de l’opposant emprisonné Succès Masra. Dobian Assingar, figure historique de la société civile tchadienne et ancien président de la Ligue tchadienne des droits de l’homme, appelle directement le président Mahamat Idriss Déby à accorder l’amnistie à l’ancien Premier ministre, condamné en août 2025 à vingt ans de réclusion.
Dans un entretien, Dobian Assingar estime que l’incarcération de Succès Masra, reconnu coupable de complicité de meurtre et de diffusion de message haineux dans l’affaire du massacre de Mandakao, ne résoudra pas les tensions communautaires. Il affirme que cette situation « divise » le pays, soulignant que l’arrestation du leader politique est mal perçue tant dans le sud, sa région d’origine, que dans le nord. Pour l’ancien défenseur des droits, seul le chef de l’État peut « faire baisser la température » et permettre aux Tchadiens de se regarder « en citoyens d’un même pays ».
Cet appel intervient dans un contexte politique marqué par une transition contestée. Succès Masra, chef de file de l’opposition, avait fui le Tchad après la répression meurtrière des manifestations d’octobre 2022. Son retour en novembre 2023, facilité par un accord de réconciliation avec le gouvernement, l’avait conduit au poste de Premier ministre en janvier 2024. Sa candidature à la présidentielle de mai 2024, où il est arrivé deuxième avec 18,54% des voix face à Mahamat Idriss Déby, puis sa condamnation quelques mois plus tard, illustrent la volatilité de la vie politique tchadienne.
La demande d’amnistie place désormais la balle dans le camp du président Déby. Sa décision sera scrutée comme un indicateur clé de sa volonté réelle de réconciliation nationale et d’apaisement des fractures socio-politiques et communautaires. Un refus risquerait de confirmer les critiques sur la nature autoritaire de la transition et d’attiser les ressentiments. Une grâce, en revanche, pourrait être présentée comme un geste d’unité, mais poserait la question de l’indépendance de la justice et de l’impunité.
L’argumentaire de Dobian Assingar dépasse la simple défense d’un individu. Il lie explicitement la détention de Masra à la persistance des conflits meurtriers entre éleveurs et agriculteurs dans le sud du pays, suggérant qu’un geste politique est nécessaire pour désamorcer ces violences. Cette position reflète une analyse selon laquelle la crispation politique à N’Djamena alimente les tensions locales, et qu’une solution ne peut être uniquement judiciaire.
Le retour au premier plan d’un vétéran de la société civile comme Assingar, qui s’était tu depuis 2023, donne un poids particulier à cet appel. Son statut et son retrait volontaire lui confèrent une forme d’autorité morale. Son intervention est un signal que la condamnation de Masra dépasse le cadre d’une affaire judiciaire pour incarner un symbole de division nationale, capable de mobiliser des acteurs au-delà du cercle politique immédiat.
L’affaire Masra reste ainsi une épine dans le pied de la transition dirigée par Mahamat Idriss Déby. Elle cristallise les défis de légitimité, de justice transitionnelle et de cohésion d’un pays en quête de stabilité. La réponse du pouvoir à cet appel venant de la société civile constituera un test significatif de sa capacité à gouverner un Tchad pacifié, ou au contraire, à maintenir un climat de défiance et de fragmentation.


