Arrêté à son domicile le 26 mai dernier, le rappeur togolais Aamron, critique notoire du régime, a été localisé dans un hôpital psychiatrique, selon son avocat, Maître Célestin Agbogan. Ce dernier affirme que son client a été interné peu après la diffusion, le 6 juin, d’une vidéo dans laquelle l’artiste affirme souffrir de troubles mentaux et présente ses excuses au président Faure Gnassingbé.
Dans cette séquence diffusée sur TikTok, Aamron, au ton calme et mesuré, qualifie ses précédents propos envers le chef de l’État de « comportements outrageux ». Une attitude inhabituelle qui soulève des doutes chez son avocat. « Cette vidéo, je n’y crois pas », affirme Maître Agbogan, qui évoque la possibilité d’une déclaration faite sous contrainte. Selon lui, il est peu crédible qu’un individu décrit quelques jours plus tôt comme mentalement instable soit ensuite en mesure de s’exprimer aussi clairement.
La manière dont le rappeur a été appréhendé alarme également ses proches. Il aurait été arrêté sans mandat ni information du procureur de la République. Ce dernier n’aurait été mis au courant qu’après coup, via un rapport a posteriori. L’avocat dénonce une procédure en violation flagrante des principes de l’État de droit : absence de notification officielle, non-respect des droits élémentaires, et placement sous traitement sans décision judiciaire préalable.
Ce cas s’inscrit dans une dynamique plus large où l’on observe au Togo un usage croissant des institutions médicales ou judiciaires pour neutraliser des voix critiques. L’internement psychiatrique de figures dissidentes est une méthode dénoncée depuis longtemps par des ONG, notamment lorsque ces placements semblent servir des objectifs politiques plus que médicaux. L’avocat d’Aamron évoque ici un « miracle suspect » : un changement brutal et incohérent de l’état psychologique de son client.
La situation d’Aamron illustre les risques encourus par les artistes qui osent défier l’autorité au Togo. La musique, souvent perçue comme un espace de liberté, devient un terrain dangereux lorsque les textes dénoncent l’impunité ou les dérives autoritaires. Cette affaire relance le débat sur la liberté d’expression dans le pays et pourrait pousser d’autres voix critiques à l’autocensure, par crainte de subir le même sort.
Au-delà du cas individuel d’Aamron, c’est l’image du système judiciaire et sanitaire togolais qui est en jeu. En recourant à des pratiques opaques pour gérer la dissidence, le pouvoir alimente une défiance persistante à son égard. Si les accusations de contrainte sont avérées, elles viendraient fragiliser davantage les efforts de légitimation d’un État qui se veut moderne mais dont les méthodes restent ancrées dans une logique de répression.