Le drapeau de l’Érythrée flotte encore au sommet des mille collines. En s’adjugeant ce dimanche 26 février la dernière étape à Kigali, Henok Mulubrhan a conservé jusqu’au bout son maillot jaune du Tour du Rwanda. Le double champion d’Afrique s’offre à 23 ans la première course par étapes de sa carrière. Il devient le 4e coureur de son pays à remporter l’épreuve et confirme sa récente progression, dans l’ombre de son grand rival de jeunesse, Biniam Girmay.
Porté en triomphe, embrassé par des compatriotes déchaînés et enveloppé dans le drapeau de son pays, Henok Mulubrhan semble à la fois heureux et gêné. On ne reconnaîtrait presque pas le coureur plein de maîtrise, de calme et de sang-froid, vainqueur d’une course qu’il aura parfaitement su contrôler dans les moments-clés. « Il a toujours vu les autres honorés en Érythrée », explique Philippe Le Gars, journaliste spécialisé au quotidien L’Équipe. « C’est peut-être de là que lui vient cette timidité : un manque de légitimité par rapport aux carrières de ses compatriotes les plus connus, Daniel Teklehaimanot, Natnael Berhane, Merhawi Kudus et bien sûr Biniam Girmay. »
Biniam Girmay, héros national depuis sa victoire d’étape au Tour d’Italie l’an passé, a longtemps été le grand rival de Henok Mulubrhan. Dans les catégories de jeunes, les deux compères se partageaient les bouquets. Mais alors que son camarade connaît une progression éclair, « Heni » stagne et joue de malchance : l’équipe Qhukeba, avec laquelle il devait découvrir le World Tour (ndlr : la première division mondiale), en 2022, disparaît avant même le début de la saison. Le natif d’Asmara repart à l’étage du dessous, d’abord avec la formation BikeAid, et devient champion d’Afrique une première fois. Un déclic : « Franchement, je ne pensais pas qu’il pouvait progresser aussi vite », estime Felix Sempoma, le directeur sportif du Rwanda, qui l’avait découvert lors de la Tropicale Amissa Bongo 2018. « Ce qu’il montre depuis un peu plus d’un an, c’est très, très intéressant. »
Une semaine parfaitement négociée
Sacré champion d’Afrique pour la deuxième fois consécutive à Accra, juste avant de partir pour le Rwanda, Henok Mulubrhan arrivait à Kigali dans la peau d’un favori. Encore fallait-il assumer ce statut, qui plus est avec l’étiquette de leader d’une équipe étrangère, la formation italienne Bardiani.
Il se libère dès le 3e jour, en gagnant une grande étape de montagne, à Musanze, après avoir été pris dans une chute puis victime d’un ennui mécanique. Réputé capable de s’énerver rapidement en cas de coup dur, l’Érythréen impressionne par son calme ce jour-là. Plus discret ensuite, il perd le maillot jaune, puis ressort de sa boîte au bon moment, lors du week-end décisif, à Kigali. Une attaque tranchante pour gagner quelques secondes et reprendre le maillot, le 25 février, un sprint bien négocié pour l’emporter avec panache, ce dimanche 26 février, les adversaires sont obligés de s’incliner : « C’était le plus fort sur ce Tour », reconnaît le coureur de TotalEnergies, Victor de La Parte. « Je pensais qu’on pouvait le faire sauter aujourd’hui (dimanche 26 février), on avait un plan pour ça, mais il était vraiment costaud », conclut l’Espagnol, finalement 4e du classement général.
La confirmation attendue en Europe
Avec ce succès se pose une question : et maintenant ? « J’ai fait un très bon début de saison, je veux gagner d’autres courses pour rendre fier mon équipe et mon pays », répond seulement Henok Mulubrhan. La suite de son programme devrait s’écrire en Europe. Repéré par plusieurs équipes importantes du peloton, sans doute en vue de la saison prochaine, l’Érythréen doit pour le moment se contenter du calendrier proposé par sa formation, pas automatiquement invitée à toutes les grandes courses européennes. Il devrait toutefois participer au Giro, le Tour d’Italie, au mois de mai.
« Je pense qu’il peut gagner une étape là-bas », pronostique Philippe Le Gars. « Il grimpe bien, il est rapide au sprint, c’est un coureur passe-partout, qui depuis sa signature dans cette équipe italienne a acquis un vrai bagage tactique, il n’a plus grand-chose à apprendre maintenant. » Gagner sur le Giro, un an après un certain Biniam Girmay, ce serait aussi un message envoyé à son compatriote : « Je sais qu’au fond de lui, il veut rattraper le temps perdu par rapport à Biniam, poursuit Philippe Le Gars. Ils sont amis, mais rivaux avant tout. »