Sept ans après son lancement officiel, le Marché unique du transport aérien africain (SAATM), censé unifier le ciel du continent, reste au point mort. Malgré son inscription comme projet phare de l’Agenda 2063 de l’Union africaine, la promesse d’un « ciel ouvert » africain se heurte à des résistances tenaces, notamment politiques. En première ligne : la réticence de nombreux États à ouvrir leur espace aérien, jugée incompatible avec leur conception de la souveraineté nationale.
Abderahmane Berthé, secrétaire général de l’Association des compagnies aériennes africaines (AFRAA), dénonce un manque flagrant de volonté politique. Pour de nombreux gouvernements, posséder une compagnie aérienne nationale reste un symbole de fierté. Même déficitaires, ces compagnies sont maintenues à flot au détriment de toute ouverture du marché. Résultat : une fragmentation du ciel africain qui isole les transporteurs et empêche l’émergence d’un réseau continental compétitif. À cela s’ajoutent des préoccupations sécuritaires, en particulier dans des zones instables comme la Corne de l’Afrique.
Le projet SAATM souffre également d’un défaut d’adhésion : seulement 37 pays africains ont signé l’accord, et peu l’ont mis en œuvre de manière concrète. Dans les faits, les transporteurs doivent encore composer avec des itinéraires détournés et des surcoûts lorsqu’ils traversent des pays non signataires. Par ailleurs, des accords bilatéraux ou régionaux (CEDEAO, SADC) créent des chevauchements juridiques et des conflits d’intérêts, en maintenant des restrictions de trafic ou des taxes pénalisantes.
Le retard du marché unique s’explique aussi par des faiblesses internes. Nombre d’aéroports africains ne répondent pas aux normes internationales, avec des infrastructures vétustes ou sous-dimensionnées. La connectivité reste faible : les liaisons intra-africaines ne représentent que 20 % du trafic, contre une forte dépendance aux hubs européens. De plus, la majorité des passagers africains volent avec des compagnies étrangères, les transporteurs locaux souffrant de flottes obsolètes, d’une mauvaise gestion et de niveaux d’endettement préoccupants.
Pour sortir de l’impasse, plusieurs acteurs du secteur – AFRAA, IATA, OACI – appellent à une réforme profonde. L’AFRAA plaide pour un regroupement stratégique des compagnies, en s’inspirant du modèle d’Ethiopian Airlines : un acteur central entouré de filiales régionales. L’objectif serait de former un réseau coordonné de quelques transporteurs puissants à l’échelle continentale. Mais cette vision suppose des fusions complexes, difficiles sans cadre juridique commun.
Outre la rationalisation du secteur, des mesures concrètes sont proposées pour alléger les coûts : la CEDEAO prévoit une réduction de 25 % des redevances de sécurité et la suppression de certaines taxes à partir de 2026. L’OACI appelle, elle, à aller au-delà de l’ouverture du ciel en s’attaquant aux restrictions migratoires et aux barrières tarifaires. Ces évolutions pourraient enfin favoriser une réelle intégration aérienne du continent, à condition qu’elles soient accompagnées d’une volonté politique claire et partagée.