En Tunisie, la majorité des migrants vivent toujours dans la peur après les récits d’agressions de plusieurs d’entre eux qui ont circulé sur les réseaux sociaux. La photographie d’une Camerounaise violentée dans la rue a beaucoup choqué. Elle a accepté de témoigner.
Dans son salon, Jessica* se tord les mains. Des mains sans les manucures qui sont sa spécialité. Cette esthéticienne, professionnelle en prothèse ongulaire, n’a plus de travail depuis une semaine et se cloître chez elle, après son agression. « Même pour aller à l’épicerie d’à côté, je n’ai pas le courage, j’ai peur. »
De ses agresseurs, elle ne se rappelle de rien, car elle s’est évanouie après le premier coup, le vendredi 24 février. Elle a été attaquée par une bande de jeunes Tunisiens alors qu’elle s’était arrêtée dans la rue pour recharger son crédit téléphonique. « Quand je me réveille, je me retrouve à l’hôpital dans une mare de sang. Je me retrouve déchirée de partout, les lèvres, les côtes, la poitrine et tout ça. » Une partie de sa poitrine a été lacérée et poignardée.
Elle a voulu partager la photo de ses blessures pour dénoncer, faute de pouvoir porter plainte contre ses agresseurs. « J’ai partagé la photo parce que je veux alerter de ce qui se passe en Tunisie, vraiment c’est grave, c’est très grave. On doit pas prendre la situation à la légère. Il y a pleins d’autres personnes qui en souffrent et qui ne savent pas quoi faire. »
Selon une étude de l’association Terre d’Asile datant de 2020, près de 43% des femmes migrantes subsahariennes interrogées se sentaient en insécurité à Tunis et 78% disaient avoir déjà été victime d’une agression.
*Prénom d’emprunt
■ Devant le siège de l’Organisation internationale pour les migrations, l’espoir de pouvoir rester en Tunisie
Avec notre correspondante à Tunis, Lilia Blaise
Près d’une centaine de migrants sont regroupés devant le siège de l’Organisation internationale pour les migrations, une agence onusienne pour aider la gestion humaine et coordonner les migrations. Beaucoup étaient déjà présents avant les propos polémiques du président Kaïs Saïed pour réclamer une aide au retour, mais une grande partie s’est ajoutée après les expulsions et violences dont les migrants subsahariens ont été victimes ces derniers jours.
Devant les murs barricadés de l’OIM, des tentes de fortune sont installées à l’aide de briques et de sacs poubelles. Des couvertures et une plaque chauffante avec une bombonne de gaz pour cuisiner. Les habitants de ce campement précaire sont originaires du centre et de l’ouest de l’Afrique. Comme Aïcha, 23 ans, qui vient de la Sierra Leone : « Après le discours du président, la police a commencé à nous arrêter, la population aussi, et nous avons eu notre maison pillée, même dans la seconde maison où nous avons déménagé. Donc c’est pour cela que je suis venue ici. »
Elle dit avoir perdu son passeport pendant son trajet pour venir jusqu’en Tunisie. Sans papiers et avec la barrière de la langue, elle peut difficilement travailler dans le pays, mais elle souhaite rester malgré la précarité de sa situation actuelle : « Si jamais les choses se calment, j’aimerais rester. Bon ici comme vous voyez c’est un abris mais c’est très froid et tu ne peux même pas te retourner la nuit pour dormir. C’est trop froid et douloureux de dormir au sol. »
Bilel, Guinéen de 18 ans, souhaite lui aussi rester car sa famille a tout sacrifié pour lui permettre de venir en Tunisie, il y a un an… « C’est dommage de retourner en Guinée comme ça, tu n’as rien. On veut juste rester ici et si Dieu veut bien, quand on gagne de l’argent, on veut entrer en Italie pour chercher l’argent pour nos parents. »
Mais désormais la carte de résidence ou un contrat de travail sont exigés par les autorités sinon Bilel comme d’autres de ses amis arrêtés risque la prison.