L’Afrique dispose aujourd’hui de plus de 165 milliards de dollars de capitaux nationaux mobilisables, mais peine à les transformer en investissements productifs. Ce paradoxe a été au cœur d’une table ronde organisée lors des Assemblées annuelles 2025 de la Banque africaine de développement (BAD), où plusieurs experts ont dénoncé une sous-exploitation chronique des ressources financières internes du continent.
Selon Abena Amoah, directrice de la Bourse du Ghana, près de 40 milliards de dollars de fonds de pension sont concentrés entre le Ghana et le Nigeria, mais investis à plus de 90 % dans des titres d’État. Le manque de canaux sûrs et rentables incite les gestionnaires à la prudence, au détriment du financement du secteur privé. Le contraste est d’autant plus saisissant que, dans le même temps, les Africains ont investi 125 milliards de dollars en cryptomonnaies en 2024, dont 65 milliards rien qu’au Nigeria.
Ce déséquilibre révèle une défaillance structurelle des marchés de capitaux africains. Les rendements élevés sur la dette souveraine (jusqu’à 20 %) détournent les banques commerciales des projets privés. À cela s’ajoutent l’instabilité macroéconomique, les réglementations contraignantes et un environnement peu favorable aux jeunes entrepreneurs et aux femmes, comme l’a souligné Razia Khan, économiste chez Standard Chartered. Le continent paie aussi le prix d’une dépendance persistante à l’aide extérieure, dans un système international peu adapté à ses réalités.
Des institutions comme Afreximbank et la TDB ont montré que des alternatives existent. Grâce à des programmes ciblés, ces banques ont réussi à mobiliser plusieurs dizaines de milliards de dollars en capital africain. Afreximbank, par exemple, est passée de 14 millions à 34 milliards de dollars de dépôts institutionnels en une décennie. Ces initiatives démontrent qu’une volonté stratégique, conjuguée à des instruments innovants de gestion des risques, peut débloquer les fonds nécessaires à la transformation structurelle du continent.
Mais la réussite de cette transition dépend aussi d’un changement d’attitude. Ibrahima Diouf, conseiller à la BOAD, a appelé à une rupture culturelle : les élites africaines doivent investir sur le continent au lieu d’exporter leur capital. Sans cet engagement local, la diaspora restera elle aussi prudente. Le président de United Capital, Chika Mordi, plaide pour la création de mécanismes de partage des bénéfices et la stabilisation de l’environnement macroéconomique pour inciter les investisseurs institutionnels à s’engager.
Dans ce contexte, des acteurs internationaux comme S&P Global notent une amélioration de la perception de l’Afrique : 11 pays africains ont vu leur note souveraine relevée en 2024. Une croissance de 4,8 % du PIB est attendue pour 2025, au-dessus de la moyenne mondiale. Cela renforce l’argument selon lequel le continent n’est pas seulement une zone de rattrapage, mais un levier central de la transition énergétique mondiale.
La conclusion de Hassatou N’Sele, vice-présidente de la BAD, résume l’urgence : le capital existe, mais les mécanismes pour le canaliser manquent. Ce n’est donc pas une question de moyens, mais de volonté politique et de capacité institutionnelle à structurer des marchés performants. Sans cette dynamique, l’Afrique restera spectatrice de son propre potentiel inexploité.