Sur l’île de São Tomé, au cœur du Golfe de Guinée, les ruines de Praia Melão, ancien complexe sucrier du XVIᵉ siècle, offrent un éclairage inédit sur la naissance du système de plantation et de l’esclavage fondé sur des critères raciaux. Ce site, désormais objet de fouilles archéologiques, illustre le rôle central de São Tomé et Príncipe dans l’économie sucrière mondiale et l’expérimentation des formes brutales de travail forcé.
Depuis 2020, une équipe dirigée par l’archéologue portugaise M. Dores Cruz mène des travaux sur ce site emblématique. L’objectif est double : retracer la vie quotidienne des esclaves africains et mettre en lumière l’influence de São Tomé dans le développement des plantations au Brésil et dans les Caraïbes. Des artefacts tels que des tuiles en céramique et des moules à sucre témoignent d’une activité intense, tandis qu’un simple cauri rappelle les échanges avec l’Afrique continentale.
Découvert par les Portugais dans les années 1470, São Tomé et Príncipe devint un laboratoire d’expérimentations économiques et sociales. Avec ses forêts denses et ses ressources en eau, l’archipel se prêtait à la culture intensive de la canne à sucre. Mais faute de main-d’œuvre locale, les Portugais y déportèrent des prisonniers, des enfants juifs et surtout des esclaves africains. Cette exploitation fit de São Tomé, au début du XVIᵉ siècle, le premier fournisseur mondial de sucre, posant les bases du commerce triangulaire.
Au-delà des découvertes matérielles, le projet de Praia Melão vise à former une nouvelle génération d’archéologues locaux. Ce travail contribue à inscrire São Tomé et Príncipe dans l’histoire globale de l’esclavage, un récit souvent dominé par des chercheurs internationaux. En sensibilisant les habitants aux vérités historiques, les fouilles offrent aussi une opportunité de revaloriser un patrimoine longtemps associé à des récits folkloriques.
La prospérité de l’économie sucrière fut éphémère. À la fin du XVIᵉ siècle, les plantations souffrirent des révoltes menées par des esclaves, notamment celle d’Amador en 1595, qui provoqua un déclin irréversible de l’industrie sucrière. Aujourd’hui, la figure d’Amador est un symbole national, commémoré chaque année et immortalisé sur la monnaie locale, le dobra.
Pour des habitants comme Edsiley da Encarnação, voisin des ruines, ces fouilles permettent de dépasser les légendes de lieux hantés. En devenant gardien de ce site historique, il participe à une démarche collective visant à mieux comprendre et transmettre l’histoire de São Tomé. Cette réappropriation du passé pourrait renforcer l’identité culturelle d’un pays dont l’histoire a façonné le monde moderne.