Un rapport scientifique, fruit de deux années de recherche menées par 14 historiens camerounais et français, a été récemment remis aux présidents français et camerounais. Ce rapport, commandé par une commission franco-camerounaise, examine le rôle de la France au Cameroun entre 1945 et 1971, notamment son implication dans la répression des mouvements indépendantistes. Bien qu’il s’agisse d’une avancée majeure pour la reconnaissance de cette période douloureuse, le rapport suscite des réactions contrastées.
Sous la direction de la chercheuse française Karine Ramondy et du musicien camerounais Blick Bassy, la commission a analysé près de 1000 pages d’archives, incluant des documents déclassifiés en France, au Cameroun et dans d’autres pays. Les chercheurs ont eu accès à des centaines de témoignages oraux et d’archives internationales, faisant ainsi lumière sur une période marquée par une répression systématique. Le rapport met en évidence la violence de l’État français dans sa lutte contre les indépendantistes, particulièrement au sein de l’Union des populations du Cameroun (UPC), de 1955 à l’indépendance.
Le Cameroun, placé sous mandat français après la Première Guerre mondiale, devient officiellement une colonie après la Seconde Guerre mondiale. Ce rapport souligne que la répression contre les mouvements indépendantistes, bien qu’intensifiée après 1955, s’est poursuivie au-delà de l’indépendance formelle du pays en 1960. L’historien souligne que les autorités françaises ont soutenu le régime d’Ahmadou Ahidjo, le premier président du Cameroun, pour maintenir l’ordre et préserver leurs intérêts géopolitiques.
Le rapport, bien que salué par certains chercheurs, reste un terrain de débat. Certains espèrent que ce travail ouvrira la voie à une réévaluation plus large de la responsabilité de la France dans ses anciennes colonies. Toutefois, la question des excuses ou des réparations n’a pas été abordée de manière claire. Le président Paul Biya a appelé à la « vulgarisation » de ces travaux, estimant que cette démarche marquait un tournant dans les relations franco-camerounaises, tout en soulignant que le processus devrait se poursuivre avec l’édition d’un comité de suivi des recommandations.
Le projet de commission n’a pas fait l’unanimité. Des historiens et des intellectuels camerounais, comme l’historien Jacob Tatsitsa, estiment que ce rapport esquive la reconnaissance officielle des massacres coloniaux. D’autres, comme le cinéaste Jean-Pierre Bekolo, déplorent que des chercheurs comme Achille Mbembe n’aient pas été inclus dans cette initiative, malgré leurs travaux sur le sujet. Les critiques pointent également l’incapacité de la France à faire amende honorable par le biais d’excuses ou de réparations concrètes, un point qui reste au cœur des discussions.
Malgré les dissensions, plusieurs chercheurs estiment que ce rapport est un pas important dans le rétablissement de la vérité historique. Il permet désormais d’accéder à des informations jusque-là inaccessibles et ouvre un débat nécessaire sur la mémoire collective entre la France et le Cameroun. Pour beaucoup, ce travail contribuera à la construction d’une histoire partagée, essentielle pour la compréhension mutuelle et la réconciliation, même si la route reste semée d’embûches.
En définitive, ce rapport représente un jalon important dans la reconnaissance du passé colonial du Cameroun. Si le processus de réconciliation est encore en construction, il offre néanmoins un terreau pour un avenir où la mémoire des événements pourra être partagée plus librement. Les conclusions de cette commission vont sans doute influencer les générations futures, tant en France qu’au Cameroun, dans la manière d’aborder l’histoire coloniale et ses lourdes conséquences.