Trois anciens membres du gouvernement de Macky Sall font aujourd’hui face à la Haute Cour de justice sénégalaise. Ismaïla Madior Fall, Aïssatou Sophie Gladima et Salimata Diop, tous ex-ministres sous la présidence Sall, ont été inculpés pour des faits de corruption, de détournement ou de complicité, commis dans l’exercice de leurs fonctions. C’est une première dans l’histoire récente du Sénégal, qui marque un tournant dans la lutte contre l’impunité des élites politiques.
L’ancien garde des Sceaux Ismaïla Madior Fall est mis en cause pour une tentative de corruption présumée. Un promoteur immobilier et un ancien collaborateur l’accusent d’avoir accepté 50 millions de francs CFA en échange de l’attribution d’un marché public portant sur la construction d’un centre de surveillance des bracelets électroniques. Il est assigné à résidence avec bracelet électronique, en attendant que la commission d’instruction statue sur la suite à donner à l’affaire. De son côté, Aïssatou Sophie Gladima, ex-ministre des Mines, est écrouée pour le détournement présumé de 193 millions de francs CFA destinés à la construction d’un centre pour les orpailleurs touchés par la pandémie. Enfin, Salimata Diop, ex-ministre de la Femme, est poursuivie pour complicité dans la gestion douteuse de fonds alloués à la lutte contre le Covid-19, une affaire où plusieurs autres anciens responsables, dont Mansour Faye, beau-frère de Macky Sall, sont également cités.
La Haute Cour de justice, récemment installée en décembre 2024, est au cœur de ces poursuites. Spécialement conçue pour juger les présidents et ministres pour des actes commis durant leur mandat, elle reflète une volonté affichée d’instaurer une reddition des comptes au plus haut niveau de l’État. Jusqu’ici rarement saisie, cette juridiction marque un tournant dans le paysage judiciaire sénégalais en traitant pour la première fois des dossiers aussi sensibles.
Si cette vague d’inculpations est saluée comme un signe de vitalité démocratique, elle suscite aussi des interrogations. Plusieurs voix s’élèvent contre le fonctionnement actuel de la Haute Cour de justice, notamment l’absence de possibilité d’appel. Pour Babacar Ba, président du Forum du justiciable, cette lacune constitue une atteinte au droit à un procès équitable : « Si la personne n’est pas satisfaite de la condamnation, elle doit pouvoir saisir une juridiction supérieure », plaide-t-il.
Du côté des organisations de la société civile, les avis sont partagés. Pour Moundiaye Cissé, directeur de l’ONG 3D, cette dynamique est globalement positive : « La justice commence à mettre tout le monde sur un pied d’égalité. » Mais lui aussi estime que des réformes s’imposent pour aligner le fonctionnement de la Haute Cour sur les standards internationaux en matière de droits humains. Plusieurs ONG appellent donc à une révision urgente de la loi organique encadrant cette institution.
Au-delà des procédures en cours, c’est l’image de la justice sénégalaise qui se joue. Alors que le pays sort d’une période politique agitée, cette série d’inculpations sera scrutée de près. Pour les autorités comme pour l’opinion publique, l’enjeu est double : prouver l’indépendance des institutions tout en garantissant aux accusés un traitement équitable.