La figure de l’opposition rwandaise Victoire Ingabire a été arrêtée jeudi 19 juin à Kigali, quelques heures après avoir nié en justice toute implication dans une tentative de déstabilisation de l’État. Le Bureau rwandais d’enquête (RIB) l’accuse d’avoir joué un rôle actif dans un réseau clandestin lié à une affaire ouverte en 2021, visant à renverser le pouvoir en place.
Selon le RIB, Ingabire pourrait être poursuivie pour « association de malfaiteurs » et « incitation publique à s’opposer au gouvernement ». Un proche de l’opposante affirme qu’une perquisition de son domicile a été menée dans la foulée de son audition devant le tribunal. L’enquête l’associe à Sylvain Sibomana, ancien secrétaire général de son ex-parti, arrêté en 2021 avec huit autres militants. Les autorités reprochent à ces derniers d’avoir organisé des réunions visant à planifier le renversement du régime, en s’inspirant notamment d’un manuel serbe de résistance non violente.
Cette arrestation s’inscrit dans un contexte de contrôle rigide de la vie politique rwandaise. Victoire Ingabire, ancienne présidente du parti FDU-Inkingi, aujourd’hui dissous de facto, avait déjà été condamnée en 2010 à quinze ans de prison pour « conspiration » et « négation du génocide ». Elle avait été libérée en 2018, après avoir purgé huit ans de détention grâce à une grâce présidentielle de Paul Kagame. Toutefois, ses droits civiques n’ont jamais été rétablis, et son parti n’a jamais obtenu d’enregistrement officiel.
L’interpellation d’Ingabire intervient à quelques mois des élections prévues en 2024, à un moment où l’opposition est quasi absente du paysage politique. En mars dernier, la justice avait rejeté son recours pour lever l’interdiction de se présenter à la présidentielle. Pour l’un de ses avocats basés à l’étranger, cette nouvelle arrestation marque une volonté manifeste des autorités de neutraliser toute voix dissidente, alors que le pays s’apprête à renouveler ses institutions sous le regard attentif de la communauté internationale.
Malgré les sanctions, les interdictions et les arrestations, Victoire Ingabire continue de revendiquer son droit à l’expression politique. Lors de sa dernière audience, elle a déclaré que les activités de son mouvement étaient aujourd’hui « à l’arrêt », en raison des multiples obstacles administratifs et sécuritaires. Pourtant, son nom reste associé à l’un des rares contre-pouvoirs qui osent encore critiquer ouvertement le régime de Kigali.
Les accusations portées contre Ingabire relancent le débat sur la place de l’opposition au Rwanda, où les procès pour atteinte à la sûreté de l’État sont souvent dénoncés par les ONG comme des moyens d’écarter les opposants. Si les autorités affirment vouloir protéger la stabilité nationale, plusieurs organisations de défense des droits humains évoquent une instrumentalisation de la justice à des fins politiques. Une affaire de plus qui pose la question de l’espace démocratique au pays des Mille Collines.