Un an après la contestation historique contre la loi de finances 2024, la jeunesse kényane s’est à nouveau rassemblée en masse à Nairobi, ce 25 juin, pour commémorer la prise du Parlement. À l’appel de la Génération Z, cette journée d’hommage aux victimes des violences policières a rapidement tourné à l’affrontement. Des heurts ont éclaté dans plusieurs quartiers de la capitale, et au moins deux manifestants ont été tués à Machakos, selon un responsable hospitalier.
Dès l’aube, des milliers de personnes vêtues de noir ont convergé vers le centre-ville. Brandissant le drapeau national, les manifestants réclamaient justice pour les dizaines de jeunes tués en 2024. L’émotion était palpable. « Ils essaient de nous tuer », lance Janet Mburu, 32 ans. Mais à peine les cortèges approchent-ils du quartier des affaires que la police déploie gaz lacrymogènes, canons à eau et balles en caoutchouc pour disperser la foule. Des scènes de guérilla urbaine se multiplient, notamment aux abords de la présidence, où des groupes motorisés jettent des pierres sur les forces de l’ordre.
Cette date du 25 juin renvoie à la contestation massive menée l’an dernier contre une loi de finances perçue comme antisociale. Symbolisée par la mobilisation numérique et physique de la Génération Z, cette fronde avait culminé avec l’occupation du Parlement. Le bilan avait été tragique : plus de 60 morts selon les ONG. L’actuelle manifestation s’inscrit dans la continuité de cette révolte, ancrée dans un sentiment de trahison face à un pouvoir jugé sourd aux revendications populaires.
La réponse du gouvernement, elle, a été doublement violente : dans la rue, par une répression directe ; dans les médias, par une censure explicite. L’Autorité des communications a interdit toute retransmission en direct, sous menace de sanctions. La chaîne NTV a même été suspendue. Aucun responsable politique ne s’est exprimé jusqu’à présent. Cette stratégie du silence renforce la frustration d’une jeunesse déjà confrontée au chômage, à la corruption et à l’impunité policière.
Présent sur place, l’ancien président de la Cour suprême, David Maraga, a dénoncé l’usage disproportionné de la force. En évoquant une mobilisation « pacifique et enthousiaste », celui qui ambitionne la présidence en 2027 a clairement pris position contre la ligne dure du gouvernement Ruto. Ce soutien inattendu confère une nouvelle dimension politique à la contestation, qui pourrait s’inscrire durablement dans le débat public à l’approche des prochaines élections.
Alors que le slogan « One term » – en référence à la volonté de limiter William Ruto à un seul mandat – gagne du terrain, la rue semble s’installer comme le principal espace d’opposition. Le manque de dialogue, les brutalités policières et la restriction des libertés médiatiques risquent d’alimenter un cycle de mobilisation et de répression. Si le gouvernement persiste dans cette voie, le Kenya pourrait bien s’acheminer vers une nouvelle crise institutionnelle.