Le délai de grâce de six mois accordé par la Cédéao aux pays de l’Alliance des États du Sahel (AES) pour réintégrer l’organisation régionale expire ce mardi 29 juillet, sans que le Mali, le Niger et le Burkina Faso n’aient manifesté la moindre volonté de revenir sur leur décision de retrait. Cette échéance symbolique marque définitivement la fin d’une période d’incertitude et confirme la rupture entre les trois États sahéliens et leurs anciens partenaires ouest-africains, même si les négociations sur les modalités concrètes de leur départ demeurent inachevées.
Malgré cette sortie officielle intervenue le 29 janvier dernier, la réalité quotidienne pour les populations des trois pays reste inchangée. Par “solidarité régionale”, la Cédéao a maintenu tous les avantages liés à l’appartenance à l’organisation jusqu’à la conclusion des négociations de sortie. Concrètement, les citoyens maliens, nigériens et burkinabè conservent leurs droits de circulation et d’établissement, leurs passeports estampillés Cédéao demeurent valables, et l’exemption des droits de douane sur les biens et services perdure. Seuls les fonctionnaires des trois pays travaillant pour l’organisation ont été officiellement licenciés et devront quitter leurs postes avant le 30 septembre.
Cette situation de statu quo s’inscrit dans une crise diplomatique majeure qui a vu les trois pays sahéliens claquer la porte de la Cédéao en janvier 2024, motivant leur décision par les sanctions imposées suite aux coups d’État militaires successifs. L’Alliance des États du Sahel, créée en septembre 2023, symbolise cette volonté d’émancipation vis-à-vis des organisations régionales traditionnelles et de leurs partenaires occidentaux. Cette rupture représente un séisme géopolitique pour l’Afrique de l’Ouest, privant la Cédéao de trois États représentant près de 60 millions d’habitants et remettant en question l’intégration régionale construite depuis des décennies. L’organisation elle-même traverse une période de remise en cause et s’engage dans un processus de réformes internes pour s’adapter à ces bouleversements.
Les négociations techniques se poursuivent dans l’opacité, sans calendrier défini ni communication publique sur les avancées. Une seule session officielle de consultations s’est tenue à Bamako en mai dernier, réunissant les ministres des Affaires étrangères des trois pays de l’AES et le président de la Commission de la Cédéao. Depuis, les échanges se déroulent uniquement au niveau technique, sans qu’aucune partie ne communique sur les difficultés rencontrées ou les progrès réalisés. L’absence d’échéance fixe laisse présager des discussions longues et complexes, à l’image des quatre années qu’avaient nécessitées les négociations du Brexit entre le Royaume-Uni et l’Union européenne.
Les enjeux de ces négociations sont considérables et touchent des domaines cruciaux : maintien ou non de la libre circulation des personnes, règles d’installation des populations et entreprises, droits de douane, sort des programmes de développement financés par la Cédéao, et modalités de remboursement des dettes contractées auprès de la Banque d’investissement et de développement (BIDC). Les pays de l’AES ont déjà annoncé que les ressortissants de la Cédéao pourraient entrer sans visa dans leur espace commun, mais la réciprocité reste à négocier.
La Cédéao se trouve face à un dilemme stratégique majeur. L’organisation doit éviter de donner l’impression de punir les populations des trois pays tout en refusant d’accorder une “prime au départ” aux États récalcitrants. Tout compromis trop généreux risquerait de diminuer l’intérêt de l’appartenance à la Cédéao et pourrait encourager d’autres pays tentés par la sécession. Cette équation complexe explique en partie la lenteur des négociations, chaque partie campant sur ses positions dans un dossier où transparence et communication font cruellement défaut, laissant les populations dans l’ignorance des discussions qui détermineront pourtant leur avenir économique et social.