Huit jours après le coup d’État du 26 novembre, la junte militaire au pouvoir en Guinée-Bissau a franchi une nouvelle étape dans la formalisation de son autorité. Jeudi 4 décembre, le “Haut Commandement militaire pour la restauration de l’ordre” a rendu public trois résolutions annonçant la mise en place d’un Conseil national de transition (CNT) et la rédaction d’une Charte de transition, des instruments destinés à gouverner le pays.
Ces documents, dont RFI a obtenu copie, définissent les premières structures de la période transitoire. Le Conseil national de transition aura pour mission explicite de “préparer les instruments de la transition” et d’en “contrôler les organes de pouvoir”. La Charte de transition, quant à elle, affiche l’objectif de “restaurer la légalité constitutionnelle”. Notons que la composition du CNT et les critères de sélection de ses membres ne sont pas précisés, laissant un flou total sur sa représentativité.
Ce putsch s’inscrit dans une longue et tragique tradition d’instabilité politico-militaire en Guinée-Bissau, un pays où aucun président élu n’a achevé son mandat depuis l’indépendance en 1974. L’armée, acteur politique omniprésent et souvent fracturée, a régulièrement eu recours à la force pour régler les crises politiques. Le coup d’État actuel intervient dans un contexte électoral tendu, marqué par des dissensions au sein de l’élite politique, mais il reproduit un schéma de gouvernance par la force qui a systématiquement empêché la consolidation des institutions démocratiques.
Les perspectives à court terme sont celles d’une transition entièrement pilotée par l’armée, avec une durée indéterminée. La communauté internationale, notamment la CEDEAO et l’Union Africaine, qui ont condamné le coup d’État, se trouve face à un dilemme : négocier avec une junte qui tente de se donner une apparence de processus structuré, ou maintenir une pression ferme pour un retour rapide à l’ordre constitutionnel. Le risque est de voir s’installer une transition prolongée, servant davantage à légitimer le pouvoir des putschistes qu’à organiser des élections libres et crédibles.
Dans l’une de ses résolutions, la junte tente de justifier son action. Elle affirme être intervenue face à une situation politique “grave” qui, selon elle, risquait de “dégénérer en une guerre civile à caractère ethnique”. Ce discours, mobilisant la peur du conflit ethnique, est un classique des pronunciamientos en Afrique de l’Ouest pour tenter de donner une légitimité “salvatrice” à un acte illégal.
Un paradoxe notable entache cependant le discours de la junte. Alors qu’elle se présente comme garante de la restauration de l’ordre constitutionnel, l’article premier de sa Charte de transition dissout le Conseil de la magistrature pour toute la durée de la transition. Cette mesure, qui affaiblit le pouvoir judiciaire, contredit frontalement ses promesses de préserver le fonctionnement des institutions telles que définies par la Constitution. Cette contradiction révèle la nature réelle du projet : un remodelage des institutions par et pour le nouveau pouvoir militaire.
L’établissement de ce Conseil national de transition, sans cadre clair, ressemble moins à une ouverture qu’à la création d’une chambre d’enregistrement des décisions de l’armée. L’histoire récente du pays montre que ces périodes de transition militaire ouvrent la voie à de nouveaux cycles de violence et d’instabilité, freinant tout développement et perpétuant la défiance des citoyens envers l’État. L’avenir immédiat de la Guinée-Bissau dépendra de la capacité de la pression régionale et internationale à imposer un calendrier contraignant et à empêcher que ce nouveau conseil ne serve simplement à entériner un statu quo dicté par les casernes.



