Par RFI
Le festival du Nguon, rendez-vous traditionnel et ancestral du peuple Bamoun fondé au XIVe siècle, a démarré ce mardi 27 septembre et doit durer jusqu’au 9 octobre. 300 000 visiteurs sont attendus selon les organisateurs à Foumban, chef-lieu du département du Noun dans la région de l’ouest.
Le Nguon revêt cette année une symbolique particulière. Il a lieu un an après le décès du sultan Ibrahim Mbombo Njoya : figure incontournable de la vie politique camerounaise, 29 années de règne, et une longue amitié avec le président Paul Biya. C’est aussi le premier anniversaire de l’accession au trône de son successeur, son fils, le nouveau sultan-roi des Bamouns, Nabil Mbombo Njoya. Treize journées de rencontres culturelles, spirituelles, festives, gastronomiques et économiques qui puisent leurs origines au XIVe siècle.
Nji Oumarou Nchare est l’une des mémoires de la culture bamoun. Depuis ses 15 ans, il travaille au Palais de Foumban depuis ses 15 ans. Il a aujourd’hui 59 ans. Directeur de l’administration et de la culture auprès du nouveau sultan, Nabil Mbombo Njoya, il fut aussi le collaborateur de son père, le défunt Ibrahim Mbombo Njoya, et de son grand-père, Seidou Njimoluh Njoya. « Le Nguon, explique-t-il, c’est la plus grande instance traditionnelle et culturelle du peuple bamoun, instauré par le roi Nchare Yen en 1394. Le Nguon était convoqué à l’époque pendant la période de récolte. C’était une occasion pour le peuple bamoun venu de toutes les contrées du royaume d’exhiber au palais les meilleurs produits de son labeur. »
Tout dénoncer devant le roi debout
Maïs, tomates, poissons… Le roi redistribue les denrées pour que chacun mange à sa faim. Il stocke dans ses greniers les excédents en prévision des périodes de disette. Cette fonction rassembleuse et régulatrice du Nguon s’exprime dans un autre temps fort du rassemblement, « le jugement du roi ». À cette occasion, les Mfonanguon, les représentants du peuple qui ont parcouru tout le royaume pour recueillir les doléances des habitants, ont exceptionnellement le droit de dire au roi ce que ses sujets pensent de lui.
« Ce jour-là, raconte Nji Oumarou Nchare, le ministre de la Justice du royaume vient planter devant le roi la lance de justice qui lève l’immunité royale et qui permet aux membres de l’assemblée de dire ce qu’ils pensent. Lorsque l’immunité du roi est levée, le roi se met debout pour être à l’écoute du peuple représenté par l’Assemblée. Elle comporte 113 membres aujourd’hui. Ils passent l’un après l’autre devant le roi, prennent la parole pour dire au roi ce que le peuple pense de lui. On dénonce tout devant le roi debout. »
Pour Moussa Njoya, politologue, juriste et biographe du défunt sultan Ibrahim Mbombo Njoya, il faut aussi comprendre le Nguon comme un moyen de dépasser les divisions au sein du peuple bamoun. « Ontologiquement, le Nguon a été conçu en 1394 comme un moment de réconciliation. Parce qu’il faut savoir que le peuple bamoun, à la base, c’est plusieurs peuples qui ont été vassalisés par Nchare Yen et ses compagnons lors de conquêtes et d’annexions territoriales. Donc il a fallu créer cette instance-là pour renforcer la cohésion sociale, entre les Bamouns d’une part, et entre les Bamouns et leur souverain d’autre part. »
Réunir les Bamouns, au-delà des partis
En 1924, le Nguon est interdit par l’administration coloniale française qui trouve que le rassemblement donne trop de poids au sultan. Il faut attendre le début des années 90 pour que le Nguon soit vraiment relancé par le sultan Ibrahim Mbombo Njoya. « Il organise alors ce rassemblement pour commémorer le premier anniversaire du décès de son père, mais c’est aussi un contexte particulier, celui des années de braise, rappelle Moussa Njoya, son biographe. Quand le sultan Ibrahim Mbombo Njoya monte sur le trône, il est ministre dans le gouvernement du président Paul Biya, il est membre du bureau politique du RDPC [le parti majoritaire au Cameroun, NDLR], c’est un cacique du régime. » La société bamoun est alors profondément divisée entre pro-RDPC et partisans du parti d’opposition UDC. « Le sultan-roi aura cette inspiration de relancer le Nguon afin de trouver un cadre transpartisan, transreligieux qui puissent réunir tous les Bamouns sans distinction. »
Pour autant, popularité du Nguon ne rime pas toujours avec succès politique. « Les Bamouns font la part des choses entre domaine traditionnel et domaine républicain », estime Moussa Njoya. « Il y a eu des éditions du Nguon très courues comme celle de 1994, cela n’a pas empêché que le sultan ne remporte pas la victoire lors des législatives de 1996. »
Organisé tous les deux ans, car coûteux, le Nguon est à la fois un rendez-vous culturel, spirituel, traditionnel, économique. Un dossier a été déposé cette année par le Cameroun pour que le Nguon soit inscrit au patrimoine immatériel de l’humanité de l’Unesco.