Le président Kaïs Saïed, qui détient les pleins pouvoirs depuis un an et demi, concentre désormais aussi toute la colère de l’opposition alors que la Tunisie traverse une crise économique intense.
Comme un air de déjà vu. Douze ans après la chute de Ben Ali, les Tunisiens redescendent dans les rues. Ils demandent cette fois-ci le départ de Kaïs Saïed. Chaker, un chômeur de 27 ans, brandit une pancarte qui invite le maître de Carthage à partir. « On ne veut plus de ce président, lance-t-il. Il a dit qu’il allait nettoyer le pays, eh bien, c’est fait. Pas de sucre, pas d’huile, pas de tomates, on n’a aucune autre alternative que de lui dire “dégage”. »
Alors que la Tunisie traverse une crise économique aiguë qui se solde par de nombreuses pénuries de denrées alimentaires (voir encadré), les revendications étaient, en grande partie, économiques. Mais pas seulement. « Ce que nos pères et nos mères ont enduré pendant la dictature, c’est quelque chose que nous, les jeunes, ne voulons pas revivre, explique Amine, 35 ans, cadre dans le privé. Nous ne voulons pas non plus que nos enfants aient à connaître cela. »
Aux abords de l’avenue Bourguiba, cœur battant de la révolution de jasmin il y a douze ans, pas moins de six rassemblements différents étaient organisés ce samedi, le parti islamiste Ennahdha drainant le gros des troupes. À quelques encablures de là, des partis de gauche ont réussi à attirer quelques grappes de militants. L’un d’eux explique que tous ont un même objectif : « Ce qui nous réunit tous aujourd’hui, c’est la volonté de mettre fin au coup d’État. On veut mettre fin au pouvoir de Kaïs Saïed, le putschiste, lui qui a fait un coup d’État contre la Constitution de 2014 et qui a mis en place sa Constitution sur mesure. »
La fin des réformes
Voilà pour la théorie. Quand il croise un militant islamiste partisan de l’établissement d’un califat en Tunisie, les choses se corsent. « Moi, je veux un État civil, dit le premier. Et ici, c’est l’Avenue de la Révolution. Fête ton califat si tu veux, mais laisse-moi célébrer un État séparé de la religion et la révolution. » « La révolution nous a été volée », répond le second. « Tu dis que la révolution nous a été volée, mais tu crois vraiment que tu en fais partie, toi, de cette révolution ? »
En rangs dispersés, les opposants à Kaïs Saïed demandent désormais la fin des réformes politiques engagées par le président tunisien. Des demandes qui interviennent alors que le pays est appelé à voter pour le second tour des législatives dans deux semaines.
Prenant les devants de cette journée de mobilisation contre lui et pour montrer qu’il reste populaire, Kaïs Saïed a lui-même arpenté l’avenue Bourguiba, s’y offrant un bain de foule retransmis sur les réseaux sociaux par le service de communication de la présidence.
Douze ans après la chute de Ben Ali, la Tunisie en proie à une profonde crise économique et sociale
En juillet 2021, un an et neuf mois à peine après son élection avec 72% des voix, le président tunisien Kais Saïed juge le pays ingouvernable. Il limoge alors son Premier ministre et gèle le Parlement. Depuis, les Tunisiens, qui avaient en grande partie soutenu leur président, se sentent trahis. Ils dénoncent leurs conditions de vie qui se détériorent avec une inflation supérieure à 10% qui grignote leur pouvoir d’achat.
L’État tunisien est très endetté et a du mal à financer l’importation de produits de base. Le lait, le sucre, le café ou récemment les pâtes sont quasiment introuvables. Après la pandémie, la guerre en Ukraine a aggravé les pénuries et fait gonfler les prix, notamment des produits importés, comme le pétrole ou le blé. Parallèlement, les discussions avec le FMI pour l’octroi de 1,7 milliard d’euros de crédit piétinent. Or, sans ce prêt, la Tunisie ne pourra pas atteindre ses équilibres budgétaires, ni honorer sa dette. Une dette extérieure qui s’élève à 106 milliards de dinars, soit 32 milliards d’euros.