Le Soudan du Sud a officiellement proposé aux États-Unis d’accueillir davantage de migrants expulsés du territoire américain, mais en contrepartie d’un vaste marchandage diplomatique. Cette offre, révélée par le média américain Politico, intervient après l’arrivée la semaine dernière du premier groupe de huit personnes expulsées via Djibouti, dont un seul ressortissant sud-soudanais, actuellement détenues dans un centre de rétention en attendant leur renvoi vers leurs pays d’origine.
Les négociations portent sur trois axes majeurs selon une note diplomatique consultée par Politico. Juba exige d’abord la levée de l’interdiction de voyage imposée aux Sud-Soudanais depuis avril, qui les prive de visas américains, ainsi que le déblocage d’un compte bancaire new-yorkais permettant les transactions en dollars et des investissements américains dans les secteurs pétrolier et minier. Le gouvernement réclame également la levée des sanctions contre plusieurs responsables, notamment Benjamin Bol Mel, homme d’affaires sanctionné pour corruption en 2017 par la première administration Trump et devenu depuis vice-président et potentiel successeur de Salva Kiir.
Cette manœuvre diplomatique s’inscrit dans la stratégie agressive de l’administration Trump en matière d’immigration, qui cherche des pays tiers pour accueillir les migrants expulsés. Washington a déjà conclu un accord similaire avec l’Eswatini, qui a reçu cinq personnes, et négocie avec le Rwanda. Au total, une quinzaine de pays africains auraient été approchés par les États-Unis. Pour le Soudan du Sud, cette opportunité arrive à un moment critique où le pays traverse une crise politique majeure, avec des élections prévues en 2026 dans un contexte de tensions extrêmes.
L’issue de ces négociations reste incertaine. Le département d’État américain a répondu aux révélations de Politico en réitérant ses exigences concernant Riek Machar, le premier vice-président assigné à résidence depuis mars 2025 pour suspicion de préparation d’une nouvelle rébellion. Washington réclame la fin de cette mesure et la reprise d’un dialogue politique direct, ce qui pourrait compliquer les tractations. L’administration Trump devra arbitrer entre ses objectifs migratoires et ses principes de politique étrangère en Afrique de l’Est.
Cette situation révèle la transformation de la crise migratoire américaine en levier géopolitique pour des régimes africains en quête de légitimité internationale. Comme l’analyse Politico, certains gouvernements perçoivent la politique migratoire agressive de Washington comme “une chance pour pousser leurs propres demandes”. Le cas sud-soudanais illustre parfaitement cette dynamique : un État fragile, isolé diplomatiquement et économiquement étranglé, qui tente de capitaliser sur les besoins américains pour desserrer l’étau des sanctions.
Au-delà du cas sud-soudanais, cette approche américaine redessine les équilibres diplomatiques en Afrique. Elle offre aux dirigeants africains une monnaie d’échange inédite face aux pressions occidentales sur la gouvernance et les droits humains. Cependant, elle soulève aussi des questions sur la responsabilité des États dans l’accueil de populations vulnérables et sur l’instrumentalisation des migrants dans les relations internationales. L’Afrique risque de devenir le réceptacle des politiques migratoires restrictives occidentales, au détriment de ses propres défis humanitaires et sécuritaires.