Près de deux ans après avoir suspendu tout nouveau financement en raison de la loi anti-LGBT adoptée par Kampala, la Banque mondiale a annoncé ce 5 juin la reprise de ses opérations en Ouganda. Trois projets majeurs viennent d’être validés, marquant un revirement dans la relation entre l’institution et l’un de ses principaux bénéficiaires africains.
En août 2023, la Banque mondiale avait gelé ses financements en réaction à l’entrée en vigueur de l’« Anti-Homosexuality Act » (AHA), une loi ougandaise qui prévoit des peines allant jusqu’à la peine de mort pour certaines infractions liées à l’homosexualité. Dans un communiqué transmis à l’agence Reuters, un porte-parole de l’institution indique que des mesures ont été prises pour atténuer les effets potentiellement négatifs de cette loi, jugées aujourd’hui suffisantes pour permettre la reprise des projets. Les trois programmes validés concernent la protection sociale, l’éducation et la gestion des déplacements forcés.
Promulguée en mai 2023, la législation ougandaise continue de faire l’objet de critiques de la part de nombreux partenaires internationaux. Elle prévoit notamment la peine capitale en cas d’« homosexualité aggravée » et jusqu’à vingt ans de prison pour la « promotion » de l’homosexualité. Mais sur le terrain, la loi bénéficie d’un large soutien populaire. Dans plusieurs pays africains – notamment au Ghana, au Nigeria et au Kenya – des textes similaires ont été discutés ou adoptés. Les dirigeants invoquent souvent la souveraineté nationale pour justifier ces choix, rejetant ce qu’ils perçoivent comme une imposition de normes étrangères.
Cette reprise des financements soulève des questions sur les marges de manœuvre réelles des institutions internationales. L’Ouganda est l’un des plus gros bénéficiaires de l’aide de la Banque mondiale en Afrique, notamment pour ses infrastructures. Refuser les financements sur la base des droits humains met en jeu non seulement la cohérence éthique de l’institution, mais aussi les moyens de subsistance de millions d’Ougandais. En débloquant ces fonds, la Banque mondiale semble avoir privilégié une approche pragmatique, sous réserve de garde-fous.
Les sanctions internationales, y compris la suspension de l’aide au développement, ont été vivement critiquées dans de nombreux pays africains. Plusieurs responsables y voient une forme de chantage ou d’ingérence. Le débat dépasse la seule question des droits LGBT pour toucher à la perception de l’autonomie africaine face aux bailleurs occidentaux. « Ce que l’Occident considère comme des droits universels est ici vécu comme une menace culturelle », a affirmé un député ougandais, reprenant un sentiment largement partagé sur le continent.
Au-delà de la seule question ougandaise, ce dossier illustre une fracture durable entre certains pays africains et les institutions internationales sur la définition des valeurs universelles. Tandis que les ONG et les gouvernements occidentaux insistent sur la conditionnalité des aides, nombre de pays africains défendent leur droit à légiférer selon leurs traditions et contextes. Ce bras de fer s’annonce appelé à se répéter dans d’autres dossiers sensibles.