À Kinshasa, le procureur général près la Cour de cassation, Firmin Mvonde, a officiellement sollicité le 9 juin l’autorisation de l’Assemblée nationale pour engager des poursuites contre le ministre de la Justice, Constant Mutamba. Ce dernier est soupçonné d’avoir détourné des fonds publics lors de la passation d’un marché de gré à gré pour la construction d’une prison à Kisangani. L’affaire prend une dimension politique et judiciaire majeure, alors que les premières conclusions de l’enquête renforcent les soupçons.
Selon le rapport présenté par le rapporteur de l’Assemblée nationale, Jacques Djoli, les explications fournies par le ministre n’ont pas permis d’écarter les charges retenues contre lui, bien au contraire. L’enquête met en cause la société Zion Construction Sarl, attributaire du marché, à qui 19 millions de dollars ont été versés. L’entreprise, soupçonnée d’être une société écran, a perçu ces fonds sur un compte bancaire ouvert la veille de la transaction. Fait troublant : les bénéficiaires mentionnés dans les statuts de l’entreprise sont aujourd’hui introuvables.
Le financement n’a pas été assuré par le Trésor public, mais par le Fonds de réparation et d’indemnisation des victimes des activités illicites de l’Ouganda en RDC (Frivao), un organisme placé sous tutelle du ministère de la Justice. Ce fonds, mis en place en avril 2023, visait à indemniser les victimes de la guerre de Six-Jours de 2000 à Kisangani. Or, à ce jour, aucune preuve de démarrage des travaux n’a été relevée sur le terrain. Pour le parquet, il s’agit d’un détournement organisé des ressources prévues pour une réparation historique.
La requête de Firmin Mvonde intervient dans un contexte où la lutte contre la corruption reste un enjeu sensible en RDC, surtout lorsqu’elle touche les plus hauts responsables de l’État. Si l’Assemblée autorise les poursuites, cela ouvrirait la voie à une procédure judiciaire rare contre un membre du gouvernement en exercice. Cela poserait aussi la question de la transparence dans la gestion des fonds d’indemnisation, censés restaurer la justice pour les victimes d’un conflit oublié.
Le cas Zion Construction Sarl met en lumière les défaillances des mécanismes de contrôle administratif et bancaire, ainsi que l’opacité dans l’attribution des marchés publics. Comment une entreprise sans existence réelle, sans siège opérationnel connu, a-t-elle pu percevoir 19 millions de dollars sans qu’aucun clignotant ne s’allume ? Cette affaire révèle un système défaillant, voire complice, où l’absence de garde-fous favorise les abus en toute impunité.
Pour le procureur général, ce dossier pourrait être un test majeur pour la justice congolaise. La manière dont l’Assemblée traitera la demande de levée d’immunité sera scrutée à la loupe, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Ce dossier va bien au-delà d’un simple scandale financier : il questionne la volonté de l’État à rendre justice à ses citoyens, à punir les détournements, et à reconstruire un lien de confiance entre les institutions et la population.