Malgré la pression de Washington pour un accord de paix d’ici fin juin, la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda poursuivent un bras de fer multiforme. Si les combats ont temporairement cessé sur le terrain, une guerre d’influence s’est déplacée vers les coulisses diplomatiques, les négociations économiques et les arènes de représentation communautaire. En ligne de mire : le contrôle du récit, des alliances et de la légitimité internationale.
Trois axes structurent cette rivalité. Le premier est diplomatique, avec des discussions officielles menées sous médiation américaine et angolaise. Le second, économique, concerne l’accès stratégique aux ressources minières de l’Est congolais, où de nouveaux contrats sont négociés avec des partenaires occidentaux. Le troisième, plus discret mais tout aussi crucial, oppose Kinshasa et Kigali dans une bataille d’image autour de la communauté Banyamulenge, avec des délégations rivales actives à l’ONU, à Washington et dans les capitales européennes.
Depuis avril, une délégation menée par l’ancien député Enock Ruberangabo Sebineza multiplie les rencontres à haut niveau. Reçue à la Maison Blanche, au Département d’État américain, puis aux Nations unies, elle défend une ligne claire : dénoncer les discriminations contre les Banyamulenge, rejeter toute tutelle rwandaise, condamner l’AFC/M23 et affirmer son soutien à l’État congolais. Le même message a été porté à Paris, Bruxelles et au Parlement européen, dans une stratégie visant à isoler Kigali et à légitimer Kinshasa.
Mais cette initiative suscite de vives critiques au sein même de la communauté. Plusieurs associations basées en Europe (Royaume-Uni, France, Scandinavie, Belgique) ont publiquement désavoué Sebineza et ses collègues. Dans une lettre ouverte, elles les accusent de mener une « campagne de désinformation » et affirment qu’aucun mandat ne leur a été confié. Elles appellent les institutions européennes à ne pas accorder de crédit à cette délégation, et dénoncent une instrumentalisation politique de la cause Banyamulenge.
Cette opposition entre représentants autoproclamés illustre les fractures profondes au sein de la diaspora et la complexité des jeux d’alliances dans la région. Elle met aussi en lumière la manière dont les communautés locales deviennent des enjeux de pouvoir dans les rivalités étatiques. Pour Kinshasa, il s’agit de fragiliser l’argumentaire de Kigali sur la « protection » des Banyamulenge. Pour le Rwanda, ces voix discordantes affaiblissent son levier d’influence dans la crise congolaise.
Alors que les États-Unis s’activent en coulisses pour relancer le dialogue entre les deux pays, cette bataille d’influence témoigne d’un climat de méfiance persistant. La multiplication des acteurs, la fragmentation des voix communautaires, et les enjeux économiques sous-jacents compliquent toute perspective de normalisation rapide. La paix, si elle doit advenir, devra d’abord passer par une clarification des alliances et une recomposition des narratifs.