Malgré les efforts consentis par les pouvoirs publics pour garantir un accès équitable aux soins, la recherche sur la santé des Noirs manque de ressources humaines et financières selon plusieurs experts. Ils ont à nouveau dressé le portrait de la situation lors d’une conférence organisée par l’Amicale de la francophonie multiculturelle du Manitoba.
Au Canada, les personnes noires demeurent surreprésentées au sein de la population affichant les pires résultats en matière d’accès aux soins de santé; selon le Conseil médical canadien. Elles font face à un certain nombre de barrières systémiques allant des préjugés à la discrimination. En plus des longues périodes d’attente dans les formations hospitalières et de la difficulté à avoir accès à un prestataire de soins primaires tel qu’on le voit tout aussi bien chez les Canadiens de souche, les immigrants manquent souvent de connaissances pratiques sur la manière de naviguer dans le système.

Le défi de l’intégration
Beaucoup doivent attendre parfois quelques mois avant d’entrer en possession d’une simple carte de santé provinciale, d’où le manque de ressources financières pour se voir administrer des soins non couverts ou aller vers une assurance privée. En situation linguistique minoritaire comme dans l’ouest du Canada, les nouveaux arrivants francophones doivent également composer avec l’obstacle de la langue. Beaucoup doivent encore s’adapter à l’anglais parlé local, y compris ceux des nouveaux arrivants qui ont la prétention d’être bilingues. « C’est d’autant plus difficile qu’il y a très peu de prises en charge en français », explique Alphonse Lawson, président de l’Amicale de la francophonie multiculturelle du Manitoba.
« Le seul fait d’appartenir à une minorité raciale suscite la méfiance et la réticence à se faire soigner », souligne le Docteur Julius Anang,médecin neurologue à l’hôpital Saint-Boniface à Winnipeg. Les patients venus d’Afrique ont parfois du mal à se confier aux professionnels auxquels ils ne sauraient s’identifier, pourtant la majorité des fournisseurs de soins n’appartiennent pas toujours aux communautés noires..
De plus, la complexité des recrutements impose des défis particuliers aux médecins qui viennent d’ailleurs et il en résulte en fin de compte des effectifs de Noirs très limités dans le système canadien. On retrouve de plus en plus de médecins chevronnés d’Afrique ou d’Europe au volant des taxis ou derrière des comptoirs de restaurants parce qu’ils ne parviennent pas à faire reconnaître leurs acquis et rejoindre le corps médical. Au Canada, les immigrants représentent le quart des travailleurs du secteur de la santé selon le ministère fédéral de l’immigration mais ces données incluent toutes les communautés d’immigrants.
En plus des programmes communautaires visant à éduquer et à aider les nouveaux arrivants, le Docteur Julius Anang recommande d’améliorer la communication entre les prestataires de services et leurs patients à travers des modules de compétences culturelles dans leurs curricula de formation. En plus des problématiques en lien avec la formation des professionnels, les experts redoutent aussi d’autres difficultés d’intégration notamment sur le plan de la littératie.
Une offre de soins non adaptée à l’Afrique
Lors d’une rencontre internationale que Santé Canada a organisée en 2023 en collaboration avec des instituts de recherche en santé au Canada, plusieurs participants avaient déjà relevé que le système de soins de santé n’était pas assez inclusif et que les prestataires de soins avaient du mal à appréhender les enjeux de santé des immigrants. Selon Alphonse Lawson, la santé est vitale et fondamentale dans le projet d’immigration mais on note un certain nombre de défis et d’inégalités systémiques qui font que l’offre des services de santé ne répond pas toujours aux besoins des couches racisées, même si c’est un système universaliste.
Il cite le cas de Marie Paule Ehoussou, une femme de 25 ans qui a succombé en octobre dernier à la drépanocytose, une maladie génétique touchant les globules rouges. Elle était connue pour son engagement communautaire et sa lutte pour les droits des étudiants à l’Université de Saint-Boniface à Winnipeg.
« Marie Paule Ehoussou avait de l’avenir, mais par manque d’offre de soins adaptés elle a perdu la vie », martèle Alphonse Lawson, la voix chargée d’émotions. Il souligne que le système canadien ne s’adapte pas rapidement à la transformation de la population et notamment à certaines maladies génétiques mal connues du corps médical.
«Le problème de la ressources humaines est une réalité », renchérit Idrissa Béogo, professeur agrégé à l’École des sciences infirmières de l’Université d’Ottawa et par ailleurs directeur par intérim du centre interdisciplinaire pour la santé des Noirs.
«Nous sommes le premier centre de recherche entièrement dédié à la santé des Noirs mais nous manquons cruellement de financement » , explique-t-il, arguant qu’il dispose dans son centre d’un laboratoire de recherche sur les soins de longue durée pour les minorités visibles mais «il n y a pas de subvention.» Pourtant, certains patients se font souvent dire que les professionnels (professionnels blancs) ne comprennent pas leur expérience. En plus de la question du financement, Idrissa Beogo réitère les réalités de la discrimination et du racisme dans l’accès aux soins de santé et note que les nouveaux arrivants sont en meilleur état de santé..
« Lorsqu’ils arrivent au Canada, les immigrants sont en meilleure santé mais plusieurs études montrent que dans une période relative d’environ 10 ans après leur établissement, leur état de santé se dégrade considérablement par rapport à la majorité. » C’est la notion de l’immigrant en santé documenté par Statistique Canada en 2011.
C’est ainsi que l’intégration emporte son lot d’enjeux, y compris la santé mentale encore taboue dans certaines communautés noires. La psychologue d’origine camerounaise relève que certaines communautés africaines confondent encore santé mentale et maladie mentale, en raison des réalités culturelles de leurs pays d’origine.
Jean Vincent Bolivar