Au Tchad, un document signé entre représentants des communautés Ngambaye et Foulbé jette le doute sur l’accusation qui pèse contre l’opposant Succès Masra, inculpé fin juillet pour avoir prétendument attisé les violences meurtrières de Mandakao, survenues mi-mai. Ce protocole d’accord, rendu public le 1er août, décrit les faits comme un conflit foncier local, sans lien direct avec une quelconque incitation politique.
Le texte, paraphé le 5 juillet par des notables des deux communautés, vise à mettre un terme aux représailles intercommunautaires. Il évoque un accrochage entre un cultivateur Ngambaye et un éleveur Foulbé, survenu le 14 mai dans le canton de Mandakao, comme élément déclencheur des violences. Le bilan s’élève à 67 morts les jours suivants, dont 45 Foulbés et 22 Ngambaye, puis 19 autres décès lors de représailles dans le village d’Orégomel.
La publication de ce protocole intervient alors que Succès Masra est détenu depuis le 16 mai. Chef du parti Les Transformateurs et ex-Premier ministre, il rejette toute implication et dénonce une cabale politique. Son parti voit dans ce document une preuve de son innocence et accuse le pouvoir d’avoir délibérément ignoré les enquêtes menées par la société civile et l’Église catholique, qui aboutissaient à la même conclusion : un conflit local, non politique.
Le gouvernement, lui, reste inflexible. Il estime que les discours de Masra ont alimenté les tensions communautaires et justifie l’inculpation par le rôle aggravant qu’il aurait joué dans l’escalade de violence. Le porte-parole Gassim Cherif défend une justice indépendante et tempère en évoquant le temps nécessaire à la procédure.
Sur le plan international, l’affaire inquiète. Human Rights Watch y voit une manœuvre politique flagrante et appelle à une réaction du président congolais Félix Tshisekedi, garant de l’accord de Kinshasa signé en octobre 2023 entre le pouvoir tchadien et Les Transformateurs. Cet accord avait notamment permis le retour de Masra au Tchad. Pour Lewis Mudge, directeur Afrique centrale de HRW, l’arrestation du chef de l’opposition viole l’esprit de cette entente politique.
Au-delà de l’affaire Masra, ce protocole soulève des questions plus larges sur l’usage du judiciaire à des fins politiques et sur la fragilité des équilibres communautaires au Tchad. À mesure que l’opposition dénonce une dérive autoritaire, la pression monte pour que la justice tranche rapidement et de façon transparente. Le pays, déjà secoué par des crises multiples, n’a pas besoin d’un procès politique de plus.