Au Tchad, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de N’Djamena a interdit, le 14 juin, toute investigation indépendante sur les violences survenues début mai dans le village de Mandakao, dans le Logone Occidental. Cette décision concerne directement les journalistes et les membres de la société civile, accusés de mener des « démarches parallèles » à l’enquête judiciaire. Une mesure justifiée par la « sensibilité » du dossier, selon le procureur Oumar Mahamat Kedelaye, mais qui suscite une vive controverse.
Cette interdiction intervient au lendemain de la publication d’un rapport indépendant mené par le Collectif des associations de défense des droits de l’homme (ADH). Contrairement à la version officielle qui pointe un massacre prémédité orchestré par l’ancien Premier ministre et opposant Succès Masra, le rapport évoque un affrontement typique entre agriculteurs et éleveurs, un conflit récurrent dans la région. Des témoignages recueillis sur le terrain contredisent ainsi l’accusation selon laquelle Masra aurait été le commanditaire de ces violences.
Les violences de Mandakao ont coûté la vie à plus de 40 personnes, majoritairement des éleveurs. Depuis, une centaine d’agriculteurs ont été arrêtés, et onze des douze villages agricoles du canton ont été incendiés par des assaillants non identifiés. Cette situation a été qualifiée de « floue » par plusieurs journalistes et observateurs, d’autant que les autorités semblent peu enclines à tolérer une contre-enquête. La désignation rapide de Masra comme principal responsable, malgré ses dénégations, renforce les soupçons d’une instrumentalisation politique du drame.
Le procureur affirme vouloir protéger le bon déroulement de l’enquête en cours, confiée à des juges d’instruction. Il met en garde contre toute initiative extérieure susceptible de constituer une « usurpation de fonction ». Cette posture est dénoncée par l’Union des journalistes tchadiens (UJT), qui y voit une atteinte grave à la liberté de la presse et à l’indépendance des médias. Le secrétaire général de l’UJT, Anges Allah-Issem, estime que le Tchad fait un inquiétant retour à la censure, abandonnée depuis les années 1990.
Pour plusieurs acteurs de la société civile, l’interdiction d’accès à Mandakao trahit une volonté de dissimuler la réalité des faits. « On veut garder la vérité sous cloche », accuse un militant associatif, sans pour autant nommer les responsables de cette manœuvre. Ces voix s’interrogent : si l’enquête officielle est transparente, pourquoi empêcher d’autres de vérifier les faits ? L’absence de réponses concrètes alimente la méfiance et creuse davantage le fossé entre les autorités et une société civile de plus en plus sous surveillance.