Le Tribunal de Grande Instance de Mukaza a condamné ce mardi 3 janvier la journaliste et défenseuse des droits de l’Homme, Floriane Irangabiye à 10 ans de prison ferme avec une amende de 1.000.000 de BIF.
Accusée de ’’porter atteinte à l’intégrité du territoire national’’, selon les termes de l’article 611 du Code pénal, cette journaliste de la radio en ligne ’’Igicaniro’’ initiée par l’association ’’Fraternité’’ regroupant des Burundais vivant en exil, essentiellement au Rwanda, a comparu ce vendredi 16 décembre à la prison de Muyinga où elle a été transférée dans la nuit du 3 octobre 2022 en provenance de la prison centrale de Mpimba à Bujumbura.
L’audience s’est déroulée à huis clos avec des juges du Tribunal de Grande Instance de Mukaza en itinérance. Des sources proches de la défense de cette jeune dame arrêtée le 30 août 2022 par des agents du Service national de renseignements (SNR) affirment que les juges n’ont pas pu fournir des preuves pouvant déterminer son incarcération. Le dossier a été mis en délibéré.
Contactée, la défense de la journaliste Floriane Irangabiye affirme qu’elle compte faire recours à la Cour d’appel afin de rendre justice à cette défenseuse des droits de l’homme et modératrice de débats sur la situation prévalant au Burundi où ses invités sont souvent critiques envers le gouvernement burundais.
La plupart des organisations de défense de la liberté de la presse condamnent cette décision de la Justice burundaise et demandent une libération sans condition de cette journaliste.
Selon des sources dignes de foi, lors de sa comparution à la prison de Muyinga, les juges ont présenté à cette journaliste un ’’curieux procès-verbal d’audition’’ dont elle ignorait l’existence mais qu’elle aurait paraphé. Et il aurait été demandé à Mme Floriane Irangabiye d’apposer son paraphe sur ce document d’origine douteuse, probablement pour voir s’il y a certaines similitudes.
Des accusations floues et sans fondements
Selon des sources proches de la défense de Mme Floriane Irangabiye, journaliste à la radio en ligne ’’Igicaniro’’, les accusations portées contre cette activiste et défenseuse des droits de la personne humaine ne sont pas fondées et sont toujours floues.
D’après ces sources, les juges du Tribunal de Grande Instance de Mukaza fondent leurs arguments sur l’article 611 du Code Pénal burundais qui stipule que « Quiconque, hors les cas prévus aux articles 613 et 614, a entrepris par quelque moyen que ce soit, de porter atteinte à l’intégrité du territoire national, est puni d’une servitude pénale de cinq ans à dix et d’une amende de un million à trois millions de francs burundais ».
Pour la défense, il n’y a pas d’élements constitutifs de cette infraction devenue une sorte de fourre-tout pour toute personne jugée dérrangeante. « Nous avons demandé que les preuves de ces accusations sions nous soient fournies mais on nous a rétorqué qu’on en cherche encore ».
Quand Mme Floriane Irangabiye a été arrêtée par les agents du Service national de renseignements, raconte des sources proches de sa famille, tout ce qu’on lui reprochait, c’étaient deux photos : un selfie avec en arrière-plan, le chef de l’Etat rwandais Paul Kagame, pas bien vu par certaines autorités burundaise depuis la crise politico-sécuritaire de 2015. L’autre photo la montrait avec l’ancien président burundais, feu Pierre Buyoya, un autre mal-aimé de certaines sphères du pouvoir.
Interrogée sur ses selfies avec en arrière-plan Kagame et Buyoya
D’après sa défense, elle a expliqué que le selfie où l’on voit le président de la République rwandaise Paul Kagame, que c’était à l’occasion d’une rencontre organisée par la banque kenyanne, KCB.
Pour la photo avec Buyoya, elle a fait savoir qu’elle a été prise par la fille de cet ancien homme d’Etat burundais qui l’a même publiée sur son statut WhatsApp ou FaceBook. Elles ont fait la même école et leurs familles sont proches.
Au cours de leur interrogatoire, les agents du SNR lui auraient posé des questions sur les relations qu’elle entretient avec les opposants burundais en exil au Rwanda.
Selon ces sources, elle a répondu qu’elle ne rencontre ces personnalités que dans le cadre de la production d’émissions sur la tolérance, la culture burundaise et les droits de l’Homme pour le compte de la radio en ligne ’’Igicaniro’’.
Quand elle était à la Prison centrale de Mpimba à Bujumbura avant son transfert en catimini à la prison de Muyinga, au nord-est du Burundi, par des agents du SNR, confie des sources proches de sa défense, Mme Floriane Irangabiye a été approchée par une dame, soupçonnée être à la solde du SNR. Elle promettait à Mme Floriane Irangabiye de l’aider pour que le dossier puisse avancer afin qu’elle retrouve sa liberté.
Une envoyée spéciale pour Floriane
Selon ces mêmes sources, il s’agirait d’une pratique connue de dépêcher un faux détenu, dans une prison avec pour mission d’essayer de gagner la confiance d’un tel prisonnier afin de lui soutirer quelques confidences.
Et cette ’’gentille dame’’ n’arrêtait pas de poser des questions à Mme Floriane Irangabiye sur sa vie au Rwanda. Méfiante, elle ne s’est pas confiée à cette inconnue qui se montrait trop aimable.
Cette dernière a alors compris qu’elle avait été démasquée et Mme Floriane Irangabiye ne l’a plus revue, partie tout aussi mystérieusement qu’elle était venue.
Et c’est dans des conditions floues que la défense a appris qu’elle a été transférée pendant la nuit à la prison de Muyinga. « Elle était menottée de même que le Dr Christophe Sahabo, directeur de l’Hôpital Kira, Swiss Clinic, emprisonné pour une affaire qui défraie la chronique. Ce dernier a été déposé à la prison de Ruyigi, à l’Est du Burundi ».
Le véhicule du SNR a continué sa route vers Muyinga. Il a fait plusieurs arrêts et le chauffeur sortait du véhicule pour passer des coups de fil avant de poursuivre sa route à travers le parc de la Ruvubu. Quand ce véhicule est arrivé au niveau du pont sur la rivière Ruvubu, le conducteur a coupé le moteur, il y a une voiture venant en sens opposé qui s’est arrêtée.
Il y a eu des discussions entre les occupants de ces véhicules et elle a confié qu’elle a eu une peur bleue, surtout avec les images de corps sans vie retrouvés en avril 2011 flottant dans les eaux de cette rivière. Là, elle s’est dit qu’elle pouvait être tuée et jetée dans cette rivière comme il faisait nuit.
Le véhicule transportant Mme Floriane Irangabiye a continué sa route vers la prison de Muyinga où un « comité d’accueil » essentiellement constitué de policiers et d’agents du SNR l’attendaient comme si c’était un grand criminel. C’était en date du 3 octobre vers minuit.
Des mesures dissuasives pour limiter les visites
La défense apprendra qu’il y a eu Chambre de conseil pour confirmer ou infirmer sa détention. Difficile de vérifier, assure une source proche de la défense de la journaliste Floriane Irangabiye.
Par après, les visites improvisées, accompagnées de menaces à peine voilées d’agents du SNR, dans cette prison et surtout dans le compartiment occupé par Mme Floriane Irangabiye, vont se multiplier.
L’Association des femmes juristes s’est rendue à Muyinga pour s’enquérir de la situation de cette activiste et journaliste, confie une source digne de foi. Les noms et adresses de tous ceux qui veulent voir Mme Floriane Irangabiye à la prison de Muyinga sont désormais consignés dans une sorte de « registre personnalisé », ce qui est dissuasif, confie une source digne de foi.
D’après des sources proches de sa défense, cette journaliste et défenseuse des droits de l’Homme, ce dossier est entaché d’irrégularités, de vice de procédures, de non-respect de la loi.
« Que les juges disent le droit, mais malheureusement, on dirait que ce ne sont pas ces derniers qui sont en charge de cette affaire mais une main invisible qui tirent les ficelles. Les décisions semblent venir d’ailleurs ».
La famille de Mme Floriane Irangabiye a fait des démarches auprès de la Cour suprême pour demander que cette jeune dame soit au moins transférée dans la prison de Muramvya, plus proche de Bujumbura, en vain.
Quelques jours après son transfert à la prison de Muyinga, confie des sources proches du dossier, loin de sa famille et de sa défense, il y a eu itinérance en catimini des juges de cette instance. « Ils ont siégé, tout a été expéditif, il n’y a rien comme éléments matériels à charge de Mme Floriane Irangabiye. C’est comme s’ils en cherche encore. On parle vaguement d’incitation à la haine dans sa radio. Ces juges se sont réunis et au bout d’une demie heure, la décision est vite tombée, le greffier a notifié qu’il faut le maintien en détention ».
Initialement accusée de collaboration avec les mouvements rebelles et d’espionnage puis d’atteinte à l’intégrité du territoire national, cette journaliste de la radio en ligne ’’Igicaniro’’, a été arrêtée le 30 août 2022 à Bujumbura par des agents du SNR.
Etablie au Rwanda bien avant la crise de 2015, elle était rentrée au pays pour une visite familiale, une visite que bon nombre de ses confrères en exil au Rwanda n’ont pas vue d’un bon œil allant même à dire que c’était se jeter dans la gueule du loup.