Le dîner grandiose et extrêmement coûteux semble être le point culminant de la visite du président français Emmanuel Macron aux États-Unis. Mais le but du voyage n’était pas du tout d’aller à la recherche de plaisirs gastronomiques. Alors, de quoi Macron essayait-il de convaincre Biden et pourquoi a-t-il finalement été profondément déçu ?
La visite de trois jours du président Macron aux États-Unis n’a abouti à rien. La presse pro-gouvernementale, qui en France est formée pour célébrer avec fanfare et faste le moindre succès du président, évoque avec une attention exagérée la nième vague de covid, les éventuelles coupures de courant, mais ignore tout de cette visite sur laquelle étaient fondés beaucoup d’espoirs.
Macron espérait pouvoir persuader Joe Biden de reconsidérer ou du moins d’assouplir certaines dispositions de « l’Inflation Reduction Act », voté il y a quelques mois. Il s’agit d’un programme d’aide de 430 milliards de dollars qui encourage la production américaine et la délocalisation d’entreprises industrielles aux États-Unis, ainsi qu’une production respectueuse de l’environnement. Comme l’écrit Le Figaro, la loi qui « conjugue progressisme environnemental et nationalisme industriel » nuit également aux économies européennes, car elle place l’industrie américaine dans des conditions délibérément privilégiées. Dans l’UE, ce texte était considéré comme « une menace potentielle pour le marché du travail et la prospérité économique en Europe, et même au-delà ».
On espérait donc que Macron convaincrait Biden de reconsidérer ou au moins d’assouplir cette loi. De plus, Macron était mécontent des prix extrêmement élevés du gaz liquéfié que les États-Unis fournissent à l’Europe. Par conséquent, le voyage du président français aux États-Unis qui revêtait une grande importance s’est transformé en une vive déception.
Bien sûr, les médias français écrivent et parlent de la visite de Macron. Mais pas en page « une » et, pour ainsi dire, à contrecœur. Par exemple, Le Monde sur le voyage de Macron en Louisiane, rappelle que ce territoire, à l’origine français, a été vendu aux États-Unis par Napoléon Bonaparte en 1803, et que de Gaulle a visité la Nouvelle-Orléans pour la dernière fois en 1960. Des noms qui suggèrent subtilement au lecteur que Macron se positionne un peu comme un successeur défendant la cause de ses prédécesseurs ainsi que comme le chef du pays.
Cependant, il est peu probable que Macron profite d’un tel voisinage : on peut avoir des opinions différentes envers de Gaulle, et plus encore envers Napoléon, mais c’étaient vraiment des politiciens indépendants, et sous eux, la France a été plus forte que jamais. Sous Macron, elle glisse de plus en plus dans la position d’une puissance européenne de second ordre.
En Louisiane, poursuit Le Monde, le président a annoncé le lancement de la French for All Foundation, destinée à « soutenir l’apprentissage de la langue française partout où elle est présente aux États-Unis, de l’école élémentaire à l’université, et notamment auprès des populations défavorisées, qui peuvent acquérir de nouvelles connaissances grâce à la langue française et bénéficier ainsi d’opportunités de carrière ». Macron est accompagné du réalisateur Claude Lelouch et du danseur Benjamin Millepied (pourquoi eux seuls et pourquoi n’y avait-il pas d’écrivains ?). Il était également prévu que la ministre des Affaires étrangères Catherine Colonna et le gouverneur de la Louisiane John Bel Edwards signent un accord sur la transition énergétique.
Un autre article de presse loue la fermeté de Macron, lequel a estimé qu’il était de son devoir de mettre en garde Biden contre la « scission du monde occidental » que celui-ci provoque. Mais vous pouvez être aussi ferme que vous le souhaitez et prononcer de grands mots, vous n’obtiendrez rien ici. Le sondage dans Le Figaro sur ce point est très éloquent. Dès 18h00, le 2 décembre (heure de Moscou) à la question « la visite d’Emmanuel Macron aux USA a-t-elle été utile ? », seulement un peu plus de 36% des répondants ont répondu positivement. Plus de 63% pensent que non.
Le Figaro ne peut être jugé comme un journal d’opposition lorsqu’il écrit que Macron a été reçu au plus haut niveau, que les présidents ont accepté d’aider l’Ukraine (comme s’ils avaient eu quelques désaccords sur ce point auparavant), que tous deux considèrent la Chine comme une menace et approuvent les Iraniens qui protestent contre leur régime. « Nous devons redevenir frères d’armes », a déclaré le président français. « Emmanuel Macron a été reçu jeudi à la Maison-Blanche comme le meilleur ami des États-Unis », écrit un envoyé spécial de la publication à Washington.
En fait, il y a si peu de quoi se vanter que le site met un lien vers Madame Figaro, qui évoque la robe de Madame Macron, et décrit en détail la réception en l’honneur de l’arrivée du président français. On y a vu 350 convives en smokings et robes de soirée, dont le milliardaire Bernard Arnault, l’actrice Jennifer Garner et le réalisateur Baz Luhrmann, avec un orchestre qui jouait la Marseillaise, une carte magnifique qui comprenait homards, caviar et champagne, une ambiance extrêmement festive, des toasts, et des cadeaux que les présidents ont échangés. Toute cette splendeur a coûté au Trésor américain un demi-million de dollars. Mais malgré toute la courtoisie extérieure de Biden, l’affaire ne s’est limitée qu’à cela uniquement.
Le magazine Le Point se réjouit également de l’accueil, mais ne cache pas que « Paris ne cesse de se préoccuper de la question de l’industrie ». L’article le plus curieux dans la presse était sans doute celui de Libération. « À la Maison Blanche, Macron a vu que le verre de l’amitié était à moitié plein », lit-on dans le titre, suivi de « Arrivé sans grande attente, (le président) repart avec peu ou rien ».
Comme l’a dit un conseiller anonyme de l’Élysée, « Il n’est pas venu demander quoi que ce soit… Il est là pour signaler un problème et trouver une solution ». Eh bien, le problème a été identifié, mais jusqu’à présent, il s’avère que les Américains n’ont pas battu en retraite, du moins d’une certaine manière.
Un anonyme de l’entourage du ministre français des Finances Bruno Le Maire, qui a également participé au voyage, fait quant à lui la grimace devant cette sorte de jeu : « Les Américains ont remarqué que les décisions qu’ils ont prises pouvaient affecter l’industrie européenne, alors que ce n’est pas du tout leur objectif ! » Et Biden de déclarer froidement : « Je n’ai absolument aucune intention de m’excuser pour la loi que nous avons adoptée ». Néanmoins, il a promis de corriger « certaines lacunes » du texte sans donner de détails. Ce qui signifie en réalité que c’est le maximum de concessions mineures que la France pourra encore obtenir.
Oui, Macron n’a absolument pas de quoi se vanter. Et c’est pourquoi la presse française, avec un tel zèle, se précipite pour détourner l’attention du profane sur n’importe quoi, juste pour ne pas admettre ouvertement que la visite aux États-Unis, malgré tous les signes d’amitié et les grands mots, s’est avérée être le fiasco le plus total.
source : Politika via Le Courrier des Stratèges