Lors de sa visite officielle à Washington, le président sud-africain Cyril Ramaphosa s’attendait à discuter commerce et coopération bilatérale. Mais Donald Trump, fidèle à ses provocations, a orienté l’entretien sur une supposée persécution des fermiers blancs en Afrique du Sud. Armé de vidéos et d’articles douteux, l’ex-président américain a accusé Pretoria de laisser se dérouler un “génocide blanc”. Problème : la plupart des « preuves » avancées reposaient sur des manipulations ou de grossières erreurs.
Des images détournées pour appuyer un récit erroné
Parmi les documents projetés par Trump figurait une vidéo montrant une route bordée de croix blanches, présentée comme un cimetière de victimes blanches. En réalité, il s’agissait d’un mémorial temporaire installé après le meurtre d’un couple d’agriculteurs en 2020. Autre exemple : une séquence de Julius Malema, chef du parti radical EFF, appelant à occuper les terres. Trump l’a présenté comme un membre du gouvernement sud-africain, alors qu’il est dans l’opposition et que son parti ne rassemble qu’une minorité d’électeurs. Une photo montrant des sacs mortuaires a aussi été brandie, censée illustrer un massacre. Elle avait en fait été prise en République démocratique du Congo dans un contexte sans rapport.
[WATCH] Just when President Cyril Ramaphosa thought he was warming up to his U.S. counterpart, Donald Trump, and members of the media, the Oval Office staff ambushed Ramaphosa and his envoys by playing the old clip of EFF leader Julius Malema singing the controversial 'Kill The… pic.twitter.com/3a3ta6cX8h
— SABC News (@SABCNews) May 21, 2025
Ces accusations ne tombent pas de nulle part. Depuis la fin de l’apartheid, certains groupes afrikaners dénoncent une politique de redistribution des terres qu’ils jugent discriminatoire. Le groupe identitaire AfriForum, très actif sur ce terrain, relaie régulièrement l’idée que les fermiers blancs seraient ciblés en raison de leur origine. Or, selon les statistiques officielles, les homicides de cette catégorie restent marginaux : en 2023, seuls 49 meurtres ont été recensés contre un total national de plus de 27 000. Ce type de narration, largement relayé par l’extrême droite américaine, ne repose pas sur des faits mais sur des peurs anciennes, parfois instrumentalisées.
En reprenant ces thèses, Donald Trump relance un récit conspirationniste qui divise l’opinion internationale. Cette posture pourrait s’inscrire dans une stratégie électorale visant à séduire un électorat blanc conservateur, à la veille d’un nouveau cycle électoral. Côté sud-africain, cette rencontre inattendue avec la désinformation met Cyril Ramaphosa dans une position délicate, alors qu’il doit rassurer à la fois ses partenaires économiques et son opinion publique sur la scène internationale.
Le rôle de Julius Malema dans la rhétorique de Trump mérite une précision. Chef de file des Combattants pour la liberté économique (EFF), il incarne un discours radical et provocateur, notamment à travers le chant “Kill the Boer”. Ce slogan, hérité de la lutte anti-apartheid, reste controversé : interdit un temps par la justice, il a finalement été jugé comme relevant de l’histoire et non de l’incitation à la haine. Mais son parti reste marginal et n’exerce aucun pouvoir au sein du gouvernement. Présenter ses propos comme ceux d’un ministre revient donc à travestir la réalité politique sud-africaine.
He’s holding an article from Congo 😭😭 pic.twitter.com/HYd914dDC5
— Patience (@officialtwinny) May 22, 2025
Derrière ces exagérations se cache une stratégie bien rodée : utiliser des symboles (croix blanches, chants violents, images de cadavres) pour imposer un récit émotionnel qui dépasse les faits. La surmédiatisation de meurtres isolés alimente un sentiment d’insécurité sélectif et sert des agendas politiques. Si les crimes de fermiers blancs existent, ils ne sont ni systématiques ni dirigés par l’État. Confondre faits divers et politique publique relève d’une instrumentalisation qui nuit autant à la vérité qu’aux relations internationales.