À neuf mois des élections législatives de juin 2026, le roi Mohammed VI a livré un discours programmatique lors de la Fête du Trône. Le souverain a posé trois jalons stratégiques : consolider les acquis économiques du royaume, corriger les déséquilibres territoriaux qui fracturent le pays, et relancer le dialogue avec l’Algérie malgré la rupture diplomatique de 2021. Cette prise de parole dessine l’horizon politique que devra emprunter le futur gouvernement.
Le monarque a d’abord dressé un bilan économique revendiqué, mettant en avant la résilience de la croissance face aux chocs climatiques et géopolitiques. Les exportations industrielles ont doublé depuis 2014, portées par l’automobile, l’aéronautique et les énergies renouvelables. Le royaume s’est arrimé à plus de 3 milliards de consommateurs via ses accords de libre-échange, tandis que la pauvreté multidimensionnelle a reculé de 11,9% en 2014 à 6,8% en 2024. Cette performance économique permet au Maroc d’intégrer la catégorie des pays à “développement humain élevé”.
Mais ces avancées masquent des fractures territoriales que le roi a placées au cœur de son discours. “Il n’y a de place, ni aujourd’hui, ni demain, pour un Maroc avançant à deux vitesses”, a martelé Mohammed VI, diagnostiquant les écarts persistants entre zones urbaines et rurales. Ce constat justifie un changement de paradigme : passer “des canevas classiques du développement social à une approche en termes de développement territorial intégré”. La régionalisation avancée, consacrée par la Constitution de 2011 mais inégalement appliquée, doit être refondée autour de l’emploi local, des services sociaux de base et de la gestion de l’eau.
L’horizon géopolitique occupe également une place centrale dans cette feuille de route. Malgré la fermeture imposée par Alger depuis août 2021, le roi maintient sa diplomatie de la main tendue : “J’ai constamment tendu la main en direction de nos frères en Algérie”. Cette posture s’inscrit dans une vision plus large de l’intégration maghrébine, que Mohammed VI juge impossible “sans l’implication conjointe du Maroc et de l’Algérie”. Le soutien international croissant au plan d’autonomie marocain pour le Sahara, désormais approuvé par 116 pays, renforce la position de Rabat mais complique paradoxalement la réconciliation avec son voisin de l’est.
Pour marquer cette séquence de transition, le souverain a accordé une grâce exceptionnelle à près de 20.000 détenus, geste symbolique qui fait écho à celui de 1999 lors de son intronisation. Cette mesure accompagne les réformes judiciaires en cours : mise en œuvre des peines alternatives, révision du code de procédure pénale et finalisation de la réforme du code de la famille. Ces chantiers institutionnels préparent le terrain pour l’agenda post-électoral de 2026.
Le discours révèle ainsi une stratégie en deux temps : consolider les acquis économiques tout en corrigeant les déséquilibres sociaux-territoriaux, puis projeter cette stabilité intérieure vers une ambition maghrébine renouvelée. Mohammed VI dessine les contours d’un mandat où l’équité territoriale devient le préalable à toute projection régionale, dans un Maghreb que les tensions algéro-marocaines maintiennent en suspens depuis quatre décennies.