Symbole de la promotion de la femme noire, la slameuse et auteure-compositrice Lydol a partagé son énergie débordante avec le public du Gala Noir et fier le 27 février dernier au Musée canadien pour les droits de la personne à Winnipeg.
À l’occasion du Mois de l’histoire des Noirs, plusieurs événements ont été organisés durant tout le mois de février sous le label de Noir et Fier. Le gala de jeudi dernier marque l’apothéose d’une série de projections de films, d’activités scolaires, de conférences, d’expositions diverses tant au marché artisanal qu’au Théâtre Cercle Molière et de pièces de théâtre sur le vaste champ thématique de la vie des personnes noires au Canada.
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Nous saisissons encore cette année l’occasion de sensibiliser sur les enjeux de la diversité et de célébrer les communautés noires au Manitoba et à travers le Canada, explique le directeur artistique de Noir et fier, Wilgis Agossa, à la base de ce concept rendu à sa 4ème édition. Le festival Noir et Fier 2025 a en effet débuté le 1er février dernier par le vernissage de l’exposition spéciale Mots sur Maux au Théâtre Cercle Molière.Les créations de Mots sur Maux sont une collection de portraits photo, de poèmes imprimés en grand format et de témoignages écrits exposés au foyer du Théçatre Cercle Molière. Selon Wilgis Agossa, cela permettrait d’ouvrir la discussion sur des sujets difficiles à travers notamment le partage des histoires douloureuses et tabous de la communauté, en vue de belles réflexions vers le changement.
Le talent d’une artiste des mots
Rendu à sa deuxième édition, le Gala Noir et fier 2025 était une soirée prestigieuse riches en sons et en lumières autour de son invitée spéciale, la slameuse d’origine camerounaise Lydol, accompagnée du groupe Dr Heny Band. Dans cette salle comble du Musée canadien pour les droits de la personne, la vedette du gala a joué à guichet fermé devant un public euphorique composé des centaines de personnes essentiellement issues de la francophonie manitobaine. L’artiste est montée sur scène dans un accoutrement de pagne africain assorti de parures colorées, riches de motifs en cauris et de colliers autour de ses pieds nus. Elle se distinguait particulièrement au milieu des danseuses et des chanteuses de chœur par ses mouvements de scène rythmés de traditionnels pas de danse africains et de déhanchés, le tout sous le charme de son sourire contagieux.

Pour faire corps avec le thème de Noir et fier 2025, mots sur maux, Lydol a d’abord opté pour des textes sur la promotion de la femme noire. C’est ainsi qu’elle a dompté les premiers regards curieux, par de belles envolées lyriques sur des valeurs de l’inclusion et de la fierté de la femme noire. Beaucoup avaient terminé le dessert et n’avaient d’yeux et d’oreilles que pour l’artiste des mots.
Il est important de poser les mots sur certaines thématiques mais aussi de valoriser ce que notre communauté est capable de faire aujourd’hui car il y a une belle représentation des communautés noires au Canada et c’est important qu’elles puissent s’identifier et valoriser son savoir-faire, a-t-elle expliqué avant de se lancer sur les planches. Lydol a révélé qu’elle se confiait mieux aux feuilles plutôt qu’aux humains depuis toujours. La scène n’en est qu’un parfait témoignage.Au contact du public, sa passion pour les mots n’a d’égal que ce talent qui lui permet de produire des textes sur des faits et des émotions au quotidien.
Ça se fait un peu naturellement, puis je m’inspire de tout ce que je vis, de tout ce que je vois, de tout ce que j’entends, des livres que je lis et donc je suis en perpétuelle création, dit-elle. Désormais, dire en français est différent de la manière de dire en slam selon cette poétesse très attachée à la beauté profonde des mots et des rimes.
De son vrai nom Dolly Sorel Nwafo, Lydol est une slameuse et auteure-compositrice camerounaise qui a commencé à écrire en 2010. Elle a participé à de nombreux festivals internationaux et autres compétitions visant à mettre en valeur le slam au Cameroun et en Afrique. Depuis 2015, elle organise avec le Goethe-Institut Kamerun l’événement Science Slam Cameroun.
Du slam au rythme en communion avec le public
À Winnipeg, elle était en communion avec le public conquis dans toute sa diversité, l’entraînant en français et en anglais à travers des rythmes variés et sensuels comme Amina ou le Ndem (échec en camfranglais), des pièces de son premier album slamthérapie paru en 2018.
Au fil de la soirée, le prestige s’est vite dilué dans l’euphorie populaire. Les invités ont presque tous abandonné leurs places pour se rapprocher de la scène et constituer des cercles de danses ponctués de prises d’images Des dizaines de téléphones portables sont brandis en direction de l’estrade surchauffée. On pouvait y voir la richesse ethnoculturelle du Manitoba confondue dans les youyous et les tonnerres d’applaudissement sans distinction de races. Blancs, Noirs, asiatiques et autres autochtones Métis de la rivière Rouge ont adopté quelques sonorités méticuleusement contagieuses. Dans une ambiance électrique, l’orchestre et la coqueluche de la jeunesse musicale africaine ont littéralement enflammé la scène. Lydol dit avoir promu l’idée que le salm aille à la rencontre de tous les arts et notamment d’autres genres musicaux à travers le projet hybride du nom de son deuxième album sorti en 2022. Elle s’exprime désormais dans des chants, du rap, du reggae et plusieurs langues. C’est ainsi que le public reprendra en choeur les refrains du titre Bango bango ou celui de Lâm encore plus connu depuis la sortie du vidéogramme avec l’artiste Fadil le sorcier. Son dernier single Aya viendra relancer les passions, le temps d’un hymne largement reproduit sur les plateformes des réseaux sociaux ces derniers temps. Ensuite, la slameuse va très vite virer à la spécificité camerounaise avec une pluralité de langues locales dont le camfranglais, un mélange d’anglais pidgin et du français de la rue.

Je viens d’un pays ou il y a plus de 300 langues et le camfranglais permet de rassembler tout le monde, soutient l’ancienne vedette de L’Afrique a un incroyable talent d’Abidjan. À la question de savoir si certains Winnipegois ne perdent pas le message dans ce cocktail linguistique, Lydol explique qu’à un moment donné, la musique n’a pas toujours besoin de sous-titres et à défaut de la traduire on peut la sentir. Nul doute que beaucoup l’ont accompagnée dans la foule sans nécessairement se soucier de la signification de ce qu’elle chantait dans les langues Douala, bandjoun ou d’ailleurs au Cameroun.
Une soirée haute en couleurs
La soirée était marquée aussi par la présence de plusieurs personnalités politiques, notamment la personne vice-première ministre du Manitoba et ministre de la santé, Uzoma Asagwara, par ailleurs originaire du Nigéria, la ministre manitobaine de la culture, du sport et des aînés, Nellie Kennedy et le député de Saint-Boniface, Robert Loiselle, un métis de la rivière Rouge qui a estimé à la fin de la cérémonie que c’est très important de célébrer qui on est, d’où on vient et où on s’en va.
René Tondji-Simen, président de la communauté camerounaise et président de l’association des communautés africaines au Manitoba s’est dit honoré de la présence d’un talent camerounais à ce gala Noir et fier. Il s’est aussi dit agréablement surpris de recevoir le prix du développement communautaire. Pour moi, la voix du peuple, c’est la voix des communautés et c’est vraiment là où je m’investis, a-t-il expliqué. Le Gala Noir et fier 2025 a aussi été l’occasion de célébrer d’autres leaders noirs et leurs alliés dans différents domaines, pour leur engagement communautaire et leur entrepreneuriat. Tous ont posé pour de nombreuses photos afin d’immortaliser l’événement sur la promesse, pour certains, que c’était loin d’être la dernière de Lydol à Winnipeg. Selon les organisateurs de Noir et fier, les communautés noires sont, depuis de nombreuses générations, victimes de plusieurs maux. Et les taire n’aident pas à une bonne connexion pour un meilleur vivre ensemble. C’est pour cela, disent-ils, qu’ils croient qu’il serait nécessaire, à travers l’art, de vocaliser des maux qui les hantent afin de cheminer comme société vers une guérison.
Jean Vincent Bolivar